Adulte zèbre
Haut Potentiel Émotionnel (HPE) et/ou Haut Potentiel Intellectuel (HPI) ?
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Les wannabe ou les dangers de l’autodiagnostic
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Les wannabe ou les dangers de l’autodiagnostic
L’autodiagnostic peut être un substitut pur et simple au diagnostic officiel ; dans ce cas, on juge son ressenti au moins aussi fiable que le regard d’un spécialiste ou des tests standardisés. Ce diagnostic devient le centre de l’identité et est clamé en public de façon décomplexée. Souvent, les personnes ainsi autodiagnostiquées intègrent des communautés où elles témoignent, théorisent et émettent des revendications sur leur condition, produisent du contenu sur le sujet en se prenant pour cas représentatif, ou encore, s’essayent au diagnostic d’autres individus sur la base de leur expérience… Vous doutez de l’ampleur du phénomène ? Allez voir une vidéo traitant de neuroatypie, vous serez surpris du nombre d’autistes THQI qui se sont donné un meeting dans la section commentaire. Sur un forum, ce sera pire. L’explication est très simple : la majorité des individus présents est aussi autiste et HPI que le râtelier de mes cochons d’Inde.
J’appelle ces individus des « wannabe », c’est-à-dire des gens qui ont absolument envie de présenter X différence, handicap ou maladie car cela satisfait leur ego. Le wannabe souhaite en général être HPI ou Asperger, attiré par l’image fantasmatique du génie incompris. Il peut aussi se croire concerné par la neuro atypie afin de s’épargner une introspection douloureuse qui mettrait en évidence sa responsabilité dans les errements ou les échecs qu’il a pu rencontrer dans sa vie. Afin d’accéder à son objectif, le wannabe se spécialise dans la banalisation et le détournement des mots : élargir et déformer les descriptions cliniques permet ainsi de forcer sa propre inclusion dans le groupe convoité. Je prends pour exemple les bataillons « d’autistes qui n’ont jamais eu de problème de communication ni d’intérêts obsessionnels, mais sont autistes quand même, c’est juste que la définition des psys est dépassée » pouvant, grâce à la neurodiversité, revendiquer leur absence de handicap ainsi que leur rôle crucial dans l’Evolution. (Darwin a dû creuser jusqu’au centre de la Terre à force de se retourner dans sa tombe.) Les wannabe entretiennent souvent une méfiance vis-à-vis du milieu psy : parfois suite à de mauvaises expériences, mais surtout parce qu’ils sont très peu renseignées sur les protocoles diagnostics qu’ils critiquent. Lorsqu’on les taquine sur leur habitude d’esquiver les sources sérieuses, ils se justifient en invoquant toujours le même trio d’arguments saignés à blanc :
1) « De toute façon, les méthodes diagnostiques sont intrinsèquement invalides, parce qu’elles n’ont pas été conçues et ne sont pas appliquées par des praticiens partageant ma condition. Ils sont incapables de me comprendre, comment voulez-vous qu’ils me reconnaissent ? ». Les bilans diagnostics ne sont pas réalisés par un pote, mais par des professionnels de santé. Leur rôle n’est pas de comprendre le patient sur le plan humain, mais de vérifier la présence de certaines caractéristiques chez lui à l’aide d’outils conçus dans ce but. Leur approche est complémentaire à une connexion humaine plus profonde qu’on trouvera dans un autre contexte.
2) « Les tests n’évaluent qu’une part ciblée du patient et pas ses multiples formes d’intelligence et les tréfonds de son âme, ce qui les rend abjectes. ». Un HPI est par définition une personne aux facultés intellectuelles significativement au-dessus de la moyenne. Le test de QI n’a jamais été fait pour mesurer autre chose que l’expression de l’intelligence cognitive. Si quelqu’un se soupçonne une intelligence exceptionnelle dans un autre champ que l’intellect (l’émotionnel, le social, le kinesthésique, le spirituel…), il convient de se détacher du terme « HPI » et de ses synonymes plutôt que de les forcer à englober ce qu’ils ne désignent guère à la base.
3) « Je vais être trop stressé pendant l’évaluation, ce qui me conduira à « échouer » aux tests ou à ne pas être assez moi-même pour que le spécialiste remarque ma condition. ». Lors d’un bilan diagnostic, il ne s’agit pas de réaliser la meilleure performance possible pour décrocher une récompense… il s’agit de venir comme on est, avec ses angoisses et ses blocages, pour être confronté à des tests faits pour révéler les caractéristiques ciblées malgré (et parfois grâce à) ces manifestations émotionnelles naturelles. Si le patient n’est pas en état de passer des tests (parce qu’il est en dépression sévère et sous traitement lourd, par exemple), le praticien va en juger et lui conseiller de reporter la passation.
Il y a un moyen simple de résoudre le problème, me direz-vous : informer ! Expliquer aux wannabe que leur vision est incomplète, déformée, stéréotypée… Halte-là, vous oubliez un point essentiel ! Le wannabe s’en fiche de comprendre comment fonctionnent les choses : il veut seulement être ce qu’il a envie d’être, pour son unique satisfaction, au mépris des conséquences.
Petite anecdote, à titre démonstratif. Autrefois, je fréquentais une jeune femme brillante. Un jour, elle est partie quelques jours en voyage dans une collocation, où elle s’est retrouvée avec un groupe de beaufs au niveau intellectuel fort limité. Elle s’est sentie en décalage et fut très choquée par la situation. En rentrant de son périple, elle est venue me demander si je connaissais un test de QI fiable sur Internet. J’ai répondu qu’il n’en existait pas, car un vrai test de QI comportait des épreuves beaucoup plus variées que ceux en ligne, ainsi qu’une dimension d’échange avec le professionnel impossible à reproduire de cette façon. Et qu’en plus, on ne diagnostiquait pas le HPI avec un unique test de QI, mais en le couplant à d’autres évaluations plus qualitatives, comme le TAT ou des tests de personnalité. J’ai pris le temps de lui expliquer comment était construit un test de QI, quel était son but, quelles étaient ses limites, je lui ai proposé une adresse si elle était intéressée par une passation de bilan… Elle a acquiescé, avant de poursuivre « Ok. Mais tu es vraiment sûre de ne pas connaître de bon test de QI sur Internet ? ». J’ai réitéré ma réponse, un peu déstabilisée. Le lendemain, cette jeune femme est revenue me déclarer qu’elle était sûrement HPI, car elle obtenait plus de 130 aux tests de QI en ligne. J’ai alors compris que son objectif n’était pas d’expliquer le mal-être qu’elle avait ressenti en voyage, mais de cristalliser un sentiment de supériorité intellectuelle dans une étiquette gratifiante. Elle était dans une optique de consommation : « Je veux mon diag, je veux la satisfaction d’un statut social, là, tout de suite. »
Pourquoi abuser de l’autodiagnostic est néfaste ?
La prolifération de la « wannabe attitude » pose trois types de problèmes.
1) Un problème pour l’interlocuteur neuroatypique.
Sûrement l’argument le plus évident, l’appropriation décomplexée des étiquettes porte préjudice à des individus. Quand on présente une condition atypique et que ceci nous complique grandement la vie, il est bien sûr très blessant de constater que des gens « volent » une part de notre identité pour leur amusement. Si le diagnostic est un soulagement à long terme, ce n’est pas un accomplissement ! Ce n’est pas fun ! Le wannabe, lui, saisit un masque de carnaval, le porte quand c’est gratifiant et l’enlève quand ça ne l’est plus. Il est neuroatypique quand il faut se démarquer des autres, justifier des comportements désagréables ou un manque d’efforts, mais cesse tout à coup de l’être quand il faut s’encanailler en boîte ou mener une vie professionnelle stable.
2) Un problème pour l’ensemble des neuroatypiques
S’il n’y avait que ça, encore… Certes, la capacité du wannabe à insulter la souffrance ou les difficultés d’autrui est grande, mais il existe un moyen de résoudre ce problème : travailler sur soi pour ne plus être atteint par ces comportements. Eh oui, c’est difficile à accepter pour l’ego, mais le monde est peuplé de gens qui pensent différemment de nous et dont les actes entrent en contradiction avec nos valeurs. Deux choix se présentent : nourrir le secret espoir de convertir tout le monde à notre idéologie (ce qui, soyons réalistes, n’arrivera jamais), rester en position de victime tant que cela n’est pas fait et donc passer le reste de sa vie à être malheureux, ou bien, trouver un moyen d’être en paix avec le caractère bordélico-stupide de l’humanité et trouver des solutions sans avoir envie de se pendre à chaque fois qu’on ouvre une page web. Le problème, c’est que les wannabe n’affectent pas que des individus, mais également des groupes entiers. Resituons le contexte. Les neuroatypiques sont une minorité discriminée par la société. Ils subissent, en vrac : le rejet par les pairs, l’impossibilité d’accéder à un diagnostic et à des soins sans payer très cher ou attendre très longtemps, le déni du diagnostic et ce qu’il implique par l’entourage, le corps enseignant et le corps médical, parfois l’humiliation par des praticiens désinformés et le refus d’attribution d’aides par la MDPH…
A l’heure où il est déjà très compliqué pour les neuroatypiques d’être pris au sérieux, les efforts qu’ils réalisent afin de faire entendre leur voix sont réduits à néant lorsqu’on vient massivement banaliser leur vécu. C’est l’effet de l’enfant qui criait au loup : à force de balancer tout le temps « Je suis surdoué/asperger/hyperactif » sans prendre la mesure de ces mots, ces derniers perdent leur valeur aux yeux des gens et même des institutions. Ils ne sont plus associés à une réalité, mais à une mode frivole, à un diagnostic inconstant qu’on trouverait dans une pochette surprise… ce qui peut avoir des conséquences dramatiques. Certains Asperger, par exemple, sont incapables de garder un poste et n’ont aucune ressource auxiliaire : s’ils ne reçoivent pas d’allocation handicapé et d’aides à l’insertion (que la MDPH refuse en général de leur donner, puisqu’ils ne sont pas vraiment handicapés après tout), ils vivent dans la précarité, voire finissent à la rue. Plusieurs études soulignent un rapport privilégié entre l’autisme de haut niveau et le suicide, avec un taux au moins 9 fois plus élevé que la moyenne. Deux tiers auraient déjà songé à mettre fin à leurs jours ! Le fait est que la détresse de ces personnes est complètement niée, tout comme celle d’autres neuroatypiques (vous savez la bienveillance avec laquelle le mot « surdoué » est accueilli dans une conversation…). Peut-être serait-il pertinent d’éviter d’aggraver les choses.
3) Un problème pour les autodiagnostiqués eux-mêmes !
Depuis tout à l’heure, j’ai l’air de considérer les wannabe comme une masse de gens superficiels sans aucun problème sérieux. Pour les avoir longuement observés, je peux affirmer que c’est faux. Si on trouve bien parmi eux des imbéciles creux et imbus d’eux-mêmes, on trouve aussi beaucoup de personnes sensibles, atypiques, qui se sentent perdues sur le plan relationnel et/ou professionnel et aimeraient trouver un sens à leur existence. Une aubaine pour certains gourous, qui exploitent cette détresse psychologique en les embobinant par un discours flatteur : « Mais non, tu n’as aucun souci, c’est entièrement la faute des autres et de la société : toi, tu es un génie, tu as un cœur trop pur pour ce monde. Achète mes livres et regarde mes vidéos, je continuerai à te brosser dans le sens du poil… Non, ne va pas consulter un praticien qualifié, il ne te comprendrait pas. Ton propre ressenti – toujours exact – est la seule chose en laquelle tu dois croire. ». Les discours de ce type fourmillent sur Internet, via des blogs, des chaînes Youtube, des pages Facebook, des cabinets charlatans, etc. Leur ton est doux, rassurant, induit un maximum de biais cognitifs… et assurément, il est plus facile d’endormir son esprit critique, de se persuader qu’on appartient à une classe à part et d’y rêver dans son coin, que d’aller affronter la réalité. Le risque pour le wannabe en souffrance est d’être détourné d’une prise en charge dont il aurait besoin en s’engageant dans une mauvaise voie.
P.S. : Ce texte est extrait du blog de l’Antre de la chouette.
Je me suis permis quelques petites corrections, mais je me suis évertué à préserver le maximum de formulations
Vous trouverez beaucoup de réflexions pertinentes de la Chouette ici :
https://antredelachouette.blogspot.com/2019/02/lautodiagnostic-de-hpi-autisme-etc.html
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