Tout savoir sur le biais de naturalité (biais de normalité) ou “appel à la nature“
Le biais de naturalité, également connu sous le nom de biais de normalité, est un biais cognitif qui semble particulièrement présent depuis quelques années, et plus encore depuis le développement des réseaux sociaux. On parle également d’appel à la nature, ou encore d’invocation de la nature (argumentum ad naturam, en latin).
Il est, osons-le dire, naturellement 😉 moins connu que d’autres biais tels que le biais de confirmation, l’effet Barnum ou l’effet Dunning-Kruger, mais il est assurément devenu un essentiel – et il le sera certainement de plus en plus à mesure que les années passent et que la technologie, le “digital”, s’immisce toujours un peu plus dans nos vies.
Si l’intelligence naturaliste semble, par définition, liée à ce biais de naturalité, est-il possible que la présence d’un Haut Potentiel Emotionnel (HPE) et/ou d’un Haut Potentiel Intellectuel (HPI) puisse rendre un individu plus ou moins sensible que la moyenne à ce biais ?
Essayons de déblayer le terrain.
Qu’est-ce que le biais de naturalité ? Définition
Le biais de naturalité (ou, comme nous l’avons vu, “biais de normalité“) fait référence à la tendance humaine à percevoir les choses qui sont naturelles comme étant intrinsèquement bonnes, acceptables ou préférables.
La nature prouve qu’elle nous veut du bien puisqu’en nous donnant des larmes elle nous donne le meilleur : la sensibilité.
Juvénal
(voir d’autres citations sur l’hypersensibilité)
Par opposition, les choses qui sont considérées comme non naturelles (autrement dit : “artificielles”) sont perçues comme étant mauvaises, suspectes ou en tout cas moins souhaitables.
Vous voulez un exemple de biais de naturalité récent et qui parle à tout le monde ? Si vous avez plus peur du vaccin contre la Covid-19 que de la Covid-19 en elle-même, il n’est pas impossible que vous soyez victime de ce biais (notez le conditionnel, il ne s’agit pas ici d’affirmer quelque chose ou son contraire, mais bien de comprendre que le penchant… naturel est celui-ci 😉 ).
A quoi est dû le biais de normalité ?
Ce biais repose sur l’idée que ce qui est naturel est souvent considéré comme étant en accord avec l’ordre naturel des choses ou avec les normes établies par la nature.
Avec souvent, “en creux”, comme disent les journalistes, l’idée que “rien n’arrive par hasard”. Amoureux du déterminisme, bonjour !
Par conséquent, les individus peuvent avoir une préférence implicite pour tout ce qui est considéré comme naturel et rejeter ce qui est considéré comme artificiel (ou “artificieux”).
Un peu comme si la Nature avait une âme, une bienveillance naturelle envers l’Humanité, le Vivant en général. Cette fameuse Gaïa, issue de la mythologie grecque, à la fois “Déesse Mère” et “Mère des titans”.
L’appel à la nature, c’est dire, par exemple, “la Nature est bien faite, non ?“, comme certains chefs d’entreprise qui ont bien compris le bénéfice qu’ils peuvent tirer de telles croyances et sophismes 🙂
La nature est l’expression des lois que l’Intelligence divine utilise au service de l’Évolution cosmique, telle qu’elle opère sur Terre. Vus sous cet angle, les animaux sont des véhicules de cette Intelligence et agissent sous son impulsion, d’où leur sensibilité et leur savoir-faire.
Adonis OUATTARA
Comment s’exprime le biais de naturalité ?
Le biais de naturalité peut se manifester dans différents domaines, tels que l’alimentation, la santé, les produits de consommation, l’environnement (liste non exhaustive)…
Biais de naturalité et alimentation
Par exemple, certaines personnes peuvent préférer les aliments biologiques (le “Bio” ou la “Bio”, deux écoles s’affrontent ;-), car ils sont perçus comme étant… plus naturels. Et donc plus sains (vous voyez à quel moment intervient le biais dont il est question sur cette page ? 😉 ).
Et ce, même si les preuves scientifiques ne soutiennent pas toujours cette perception (attention, là encore, il n’est pas question de dire que le bio n’est pas bon pour la santé. Si c’est ce que vous pensez avoir lu, vous avez probablement été victime d’un ou plusieurs autre(s) biais…).
Il est d’ailleurs intéressant de constater que ces dernières années la consommation alimentaire et le marketing de l’industrie agro-alimentaire ont sensiblement glissé du “tout bio” vers le “tout naturel”. Ceci non seulement pour des raisons de pouvoir d’achat en baisse (différentes études ayant montré que, contrairement à de nombreux discours, les produits bio sont effectivement en moyenne plus chers que les produits non labellisés), mais aussi (et sans doute surtout) parce que les bénéfices réels du bio semblent avoir été exagérés pendant des années. A ceci, certainement en mineur, sont venus s’ajouter quelques problèmes, parfois sérieux, ayant touché des consommateurs de produits bio.
La non résistance n’est pas la passivité stupide ; laissons cela aux pierres. Il faut beaucoup de sensibilité et d’intelligence pour suivre les lois de la nature.
Dan Millman
En résumé, le consommateur a revu sa perception du rapport bénéfice/risque – le risque étant ici probablement essentiellement financier. Et qui dit “perception” dit forcément “biais” 😉
Biais de naturalité et santé
D’une manière plus générale, si l’on s’écarte un peu du sujet de l’alimentation, certaines personnes peuvent être réticentes à utiliser des médicaments ou des traitements médicaux innovants en faveur de méthodes plus naturelles, même si ces méthodes peuvent ne pas être aussi efficaces.
Ou n’être efficaces que pour des personnes qui y croient (effet placebo).
La réalité c’est ce qui continue d’exister lorsqu’on cesse d’y croire.
Philip K. Dick
Ou tout simplement… dangereuses. Ces dernières années, notamment à l’occasion de la pandémie Covid, ont vu une explosion des thérapies alternatives, qui peuvent être dangereuses en elle-même, ou tout simplement parce qu’elles viennent interférer avec la prise d’un traitement plus traditionnel.
A l’extrême, il n’est pas si rare de rencontrer des personnes expliquant que les médicaments sont un poison car le corps se répare tout seul. L’hygiène au sens large serait ainsi le principal – voire le seul – facteur pour expliquer l’incroyable progrès de l’espérance de vie en bonne santé sur la Terre durant le XXème siècle. Un narratif facilement à déconstruire, mais un narratif extrêmement puissant, reposant justement sur ce fameux biais de naturalité.
L’intelligence artificielle ne fait pas le poids face à la stupidité naturelle.
Albert Einstein
(voir d’autres citations sur l’intelligence)
Au final, le biais de naturalité peut parfois conduire à des jugements erronés ou à des décisions irrationnelles, car la notion de ce qui est naturel, en premier lieu, n’est pas toujours clairement définie ! En outre, et surtout, le fait qu’une chose soit naturelle ne garantit pas nécessairement sa sécurité, son efficacité ou sa valeur.
C’est la raison pour laquelle il est primordial d’examiner les preuves scientifiques, les faits et les données objectives lors de la prise de décisions, plutôt que de se fier uniquement à des jugements basés sur la naturalité – et la seule “intuition”.
L’intelligence est caractérisée par une incompréhension naturelle de la vie.
Henri Bergson
Biais de naturalité et douance
Si le biais de naturalité n’est évidemment pas spécifiquement associé aux personnes surdouées, il n’est pas interdit de penser que certaines caractéristiques du HPI ou signes du HPE puissent rendre les zèbres parfois plus exposés, plus sensibles, à celui-ci.
En voici quelques-unes pour alimenter votre réflexion sur le sujet.
Sensibilité accrue
Les personnes HP peuvent être plus sensibles et attentives aux détails (c’est un point communément admis, en réalité…), ce qui peut les rendre plus réceptives aux caractéristiques perçues comme naturelles ou artificielles. Si elles ont tendance à “faire appel à la nature”, c’est-à-dire à penser que “naturel = meilleur”, elles risquent donc d’être davantage influencées par le biais de naturalité. Et le biais de confirmation, associé aux bulles cognitives, en particulier digitales, peuvent alors rapidement radicaliser la personne et la faire sortir du champs rationnel.
Curiosité intellectuelle, complexité de la réflexion et analyse approfondie
Les personnes surdouées ont souvent une soif de connaissances et une curiosité intellectuelle élevée, que la pensée en arborescence peut aider à satisfaire.
Mais ceci est à double tranchant… Car cela peut les amener à remettre en question les normes établies et à explorer des alternatives non conventionnelles, y compris des méthodes ou des approches considérées comme non naturelles. Autrement dit, ces traits peuvent les rendre moins susceptibles d’être influencées par le biais de naturalité dans certains contextes.
Mais, dans une société et à une époque où la technologie se développe à grande vitesse, l’effet peut être exactement inverse. En se replongeant sur des “recettes de grand-mère”, dont plusieurs ont de fait été validées scientifiquement, les HP peuvent peut-être plus facilement que d’autres tomber dans une généralisation de type “c’était mieux avant”. Une idéalisation du passé très confortable, il faut l’avouer 😉
Tendance à la non-conformité
Le sentiment de décalage du surdoué est connu et documenté. Si, parfois, le Faux Self vient assurer, au moins temporairement, une adaptation à la norme, de nombreux HP développent tôt ou tard une propension à la non-conformité. Et la différence est parfois ténue entre une pensée de type “rebelle”, qui vient systématiquement adopter un point de vue opposé à la norme (réelle ou supposée, d’ailleurs !), et une pensée “indépendante”.
Là encore, au XXIème siècle, il semble plus facile de se penser “non-conforme” lorsque l’on rejette l’artificialité et que l’on prône la sagesse des anciens et les bienfaits du naturel. Un retour de balancier par rapport à une bonne partie du siècle précédent, assurément.
Dieu a donné à l’homme l’intelligence pour résister aux rigueurs de la nature ; or contre les rhumes de cerveaux, il y a les perruques.
Alexandre Pothey
Pourquoi les gens récompensent le talent plutôt que le travail ? Une autre lecture du biais de naturalité
Vous l’avez certainement remarqué : dans la vie quotidienne comme dans l’exceptionnel (par exemple, le sport de haut niveau), il semble y avoir une tendance largement répandue à admirer le talent, le don, (l’inné), par rapport à un résultat obtenu grâce au travail, à l’effort (l’acquis).
Ce qui ne revient pas à dire que le travail est regardé avec mépris, ou qu’il est considéré comme inutile. Mais plutôt à réaliser qu’il y a un côté “merveilleux” que l’on attribue à certains athlètes, artistes, intellectuels… Et pas à d’autres.
La préférence pour le talent inné plutôt que le travail acharné peut être attribuée à plusieurs facteurs psychologiques et socioculturels. Voici quelques raisons possibles (là encore, il s’agit d’hypothèses, et dans tous les cas aucunement d’une liste qui se voudrai exhaustive) :
Croyance en l’exceptionnalité
Les personnes ont tendance à être fascinées par ce qui est exceptionnel et extraordinaire. Lorsqu’un individu semble posséder un talent inné, il est perçu comme étant naturellement supérieur et doué d’une qualité unique. Ce qui peut susciter, on le comprend aisément, admiration et envie.
Si le concept de “douance” ou de “surdouance” a cédé du terrain face à celui de “Haut Potentiel”, c’est en partie pour cette raison. La première met le doigt sur une caractéristique qui serait présente naturellement, dès la naissance, sous-entendant ainsi que le surdoué sera pour toujours à part. La seconde, plus pragmatique, insiste sur le faire que la douance est en réalité un potentiel : rien n’est figé, et ce potentiel ne pourra s’exprimer que si différentes conditions sont réunies… Y compris, naturellement, le travail, l’entraînement, l’exercice, l’effort ou encore la répétition…
Facilité de compréhension
Reconnaître et apprécier le travail acharné nécessite souvent une compréhension approfondie du processus et des efforts déployés. En revanche, il est plus facile d’observer et d’évaluer superficiellement le talent inné.
Pour le dire autrement : il peut être plus simple de reconnaître et d’applaudir les compétences qui semblent venir naturellement plutôt que de prendre en compte les heures de pratique et d’efforts consacrés au développement de compétences par le travail.
C’est d’ailleurs notamment un souci, de nos jours, pour les travailleurs du digital. S’il est facile, à la vue d’un maçon ou d’un plombier, de comprendre que l’effort est intense, le caractère virtuel du digital et la présence des écrans masquent tout ceci aux yeux du profane. Ajoutez-y une touche d’effet Dunning-Kruger et le mélange peut être explosif : pour l’ignorant, corriger le moindre bug est affaire de volonté et prend cinq minutes. D’où, sans doute, une (infirme) partie d’explication à l’agressivité que l’on observe parfois sur les communautés en ligne.
Biais de confirmation
Les gens ont tendance à chercher des preuves qui confirment leurs croyances préexistantes. Si quelqu’un croit que le talent inné est la clé du succès, il sera plus enclin à remarquer et à récompenser les cas qui correspondent à cette croyance, tandis que les exemples de succès basés sur le travail acharné peuvent être minimisés ou ignorés.
Imaginez que vous travaillez à Hollywood ou chez Netflix. Qu’est-ce qui est le plus vendeur, d’après vous : un film ou une série sur un “génie”, peut-être même un “génie maudit”, ou un fim ou une série sur quelqu’un d’a priori ordinaire qui parvient au succès à force de travail ? Bien sûr, le deuxième cas peut donner lieu à des réussites à la fois artistiques et commerciales, mais avouons que le premier est bien plus puissant en termes de garantie de succès 😉
D’autant que rien n’empêche de mixer les deux : le combo gagnant, un génie qui travaille pour s’améliorer encore et toujours !
Effet de halo
Le talent inné peut créer un effet de halo, qui est le phénomène où les personnes attribuent automatiquement des qualités positives à une personne en se basant sur une seule caractéristique positive. Si quelqu’un est perçu comme ayant un talent inné, cela peut influencer positivement la perception globale de cette personne, même dans d’autres domaines où ses compétences peuvent être moins développées.
Normes culturelles
Dans certaines cultures, il peut exister une valorisation traditionnelle du talent inné et une croyance en la prédestination des individus à travers leurs capacités naturelles. Ces normes culturelles influencent la façon dont les réalisations sont perçues et récompensées, en mettant l’accent sur le talent inné plutôt que sur le travail et l’effort.
Signalons ici, pour conclure ce sujet, que les difficultés parfois rencontrées par certains Haut Potentiel viennent parfois, précisément, d’une trop grande facilité durant les premières années de la vie, et donc d’un non-apprentissage de l’effort. Si les facilités sont telles que notes et félicitations sont maximales, il peut évidemment être tentant de se reposer là-dessus. Le danger étant qu’un jour, peut-être dans un domaine particulier, l’absence de ce socle éducatif se fasse ressentir – au point parfois de faire douter le surdoué et/ou d’alimenter le syndrome de l’imposteur.
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