Tout savoir sur le Faux Self chez le surdoué
Nous allons nous intéresser ici à la notion de faux self, et plus particulièrement au faux self du surdoué. Il s’agira donc d’abord de définir le terme et se s’intéresser aux signes, puis de centrer notre analyse sur le cas de l’adulte surdoué / Haut Potentiel Emotionnel (HPE) / Haut Potentiel Intellectuel (HPI) / zèbre / philo-cognitif / multipotentiel etc. (n’hésitez pas à ajouter les nouveaux mots qui ne manqueront pas d’apparaître au fil des ans 😉 ).
Faux self : définition
Qu’est-ce que le faux self ?
Selon WINNICOTT, le faux self est de nature défensive ou, dans l’état de santé, adaptative. Il a pour fonction de “dissimuler et de protéger le vrai self, quel qu’il puisse être”.
Par opposition, Donald Wood Winnicott indique que “le vrai self est la position théorique d’où provient le geste spontané et l’idée personnelle”.
Ainsi, le vrai self désigne l’image que le sujet se fait de lui-même et qui correspond à ce qu’il est et perçoit à travers une réaction authentique*.
Il est donc important de réaliser qu’il n’y pas certaines personnes qui seraient enfermées dans un faux self, et d’autres qui vivraient normalement, à travers leur vrai self – ces dernières présenteraient ainsi au monde leur véritable identité.
Les signes du faux self
Quels sont les signes d’un faux self ? A quoi le reconnaît-on ?
Il faut d’abord comprendre qu’il s’agit bien d’un camouflage, d’une dissimulation.
Un peu sur le modèle de ce que l’on nomme, en marketing, image projetée vs image perçue (ou, dans d’autres cas, “valeur projetée” vs “valeur perçue”), avec une énorme différence cependant : dans le cas du faux self, l’individu projette une image qui ne correspond pas à son identité. Son objectif, le plus souvent inconscient, est de s’assurer que ce qui sera perçu correspondra bien à son faux self, et non à son moi profond, à sa véritable nature.
Alors que, dans le cas du marketing, l’enjeu est généralement de pouvoir transmettre au mieux ce que l’on nomme parfois l’ “ADN de marque” (la marque pouvant être un individu !), c’est-à-dire, par définition, précisément ce qui est constitutif, le plus objectivement possible, de celle-ci.
Le vrai self, pour le dire autrement, serait ainsi l’ADN de l’individu, c’est-à-dire ce qui le constitue au plus profond de son être. En présence d’un environnement sain, ce vrai self pourra s’exprimer suite au développement, notamment, d’une confiance en soi qui permettra à la personne de s’exprimer sans fard, sans détours, sans filtre (Instragram, coucou 😉 ) pourrait-on dire, de façon brute, authentique, naturelle.
On le comprend aisément : le vrai self ne s’exprime en réalité jamais tel quel !
Tout simplement parce que l’être humain est un animal social. Il y a des conventions sociales, des choses qui sont acceptables en société, d’autres qui ne le sont pas. Il y a des règles, des injonctions, du savoir-vivre, des diktats, tout un ensemble de normes, certaines explicites, la plupart implicites, autour desquelles se construit une société. Et même si – heureusement ! – celles-ci évoluent sans cesse, il y en a toujours.
Au final :
- le vrai self est l’identité réelle, authentique de l’individu, son “noyau”. Il s’exprime lorsque la personne se laisser aller, sans essayer de contrôler les choses.
- le faux self est l’identité perçue par autrui, par l’environnement extérieur. Il y a donc un écran, une séparation, un filtre, qui s’est mis en place et a été modelé suite au vécu de l’individu, à son éducation…
Le faux self permet l’adaptation à l’environnement, comme un caméléon est capable de changer de couleur pour se fondre dans le décor.
Le faux self chez l’adulte
Au fond, comme pour tout, c’est la dose qui fait le poison : le faux self n’est pas mauvais en soi. Mais il peut le devenir lorsqu’il empêche le vrai self de vivre sa vie, de se développer, de s’exprimer.
Mieux encore : nous pourrions aller jusqu’à dire que le faux self est nécessaire au vrai self, car il le protège. Comme l’écran solaire nous protège des UV nocifs. Sauf que les méchants rayons solaires seraient, dans le cas du faux self, un environnement toxique.
Cas le plus fréquent : une enfance difficile, pas pour des raisons matérielles – en tout cas, pas directement – mais à cause du comportement des parents, frères, sœurs ou d’autres membres de la famille. Ou encore, par exemple, d’un traumatisme, de souffrances subies à l’école. Autant d’éléments qui ont pu empêcher le self de se construire de façon solide et harmonieuse. En réponse, dans un véritable mécanisme de défense, le faux self va venir palier un vrai self insuffisant ou déficient, notamment car ce “vide intérieur” devient au fil du temps, jusqu’à l’âge adulte et après, source d’angoisse.
Le faux self jouera alors, pour reprendre une analogie animalière, comme la tête de l’autruche de le sable. Avec deux différences majeures : l’entourage ne peut pas ignorer que l’autruche a enfoncé sa tête dans le sable, et l’autruche elle-même ne peut rester bien longtemps dans une telle posture 😉
Le faux self du surdoué
Là où la situation est un peu particulière pour les Haut Potentiel Intellectuel (HPI) / Haut Potentiel Emotionnel (HPE) / surdoués / zèbres, c’est qu’ils se sentent, par définition, en décalage – et qu’ils semblent plus susceptibles d’être victime de l’effet Barnum, un des nombreux biais cognitifs qui font de nous des êtes pas si rationnels que ça… Comme un homme qui mesure 2m30 attire forcément, au moins un peu, au moins dans un premier temps, les regards. Et doit s’adapter à un monde fait par et pour des hommes d’1m75 ou 1m80. Ce qui demande un effort de pratiquement tous les instants. Pas toujours facile.
Pour en savoir plus :
Différence importante, là encore : on peut difficilement affirmer que la douance est “écrite” sur le front des gens. Partant, bien souvent, la personne ressentira un décalage de plus en plus important, au fil du temps, progressivement, parce qu’elle… EST en décalage. Et qu’elle doit, si ce décalage, réel, n’est pas compris, ou accepté, voire s’il est refusé, produire elle aussi un effort constant d’adaptation. Epuisant.
Et c’est même plus complexe que ça : le surdoué, s’il est identifié – ou s’il pense l’être – va se mettre une pression particulière sur les épaules. Persuadé que le monde extérieur attend quelque chose hors du commun de sa part, à hauteur de son potentiel, précisément – nous pourrions à ce titre nous interroger sur le caractère… potentiellement destructeur de cette appellation de “Haut Potentiel Intellectuel” ou même de “Haut Potentiel Emotionnel” -, il va jouer un rôle, afin de correspondre au mieux à ce qu’il pense que l’on attend de lui.
Quitte à en être malheureux – dans ce cas, nous ne saurions que trop vous conseiller de faire appel à un psychologue spécialisé Haut Potentiel, qui pourra décider de vous proposer de passer un test HPI.
Mais il serait faux de croire que le zèbre se met seul cette pression : si l’homme de “taille normale” peut assister à une scène où un “géant” doit se baisser pour entrer chez lui, pour circuler chez lui, et ne tient pas dans un lit, et donc peut se projeter, sentir, ressentir, ce que cette adaptation peut avoir de difficile au quotidien, l’homme d’ “intelligence normale”, ne percevant pas de signe extérieur de différence, demandera le plus souvent, consciemment ou inconsciemment, au zèbre de s’adapter.
Parfois violemment, d’ailleurs. Les idéologies égalitaires ne sont ainsi pas toujours les dernières à se montrer dures avec quiconque ose sortir du rang en l’absence d’une raison bien visible (phénomène du chien écrasé, qui va susciter plus d’émotions qu’un enfant mourant de famine à l’autre bout du monde… sauf si l’on est soumis à des images de ce même enfant, et encore…).
Dans d’autres cas, l’animal de foire” qu’est le surdoué deviendra source de jalousie, de moquerie, de rejet. On ne lui demande pas, ou plus, de s’adapter. On lui demande de prouver qu’il est “si intelligent que ça”. Or, de fait, le vrai self peut rarement pondre du E=mc2 à la chaîne.
Faux self narcissique
Et puis… il y a ces nombreuses théories qui nous expliquent sur le Haut Potentiel cherche éperdument à être aimé. Ce qui, au fond, ne serait pas absurde : le simple fait d’être hors norme fait que la peur d’être incompris, de se retrouver seul, va alimenter ce besoin de reconnaissance et d’amour.
Et c’est alors que survient le danger… S’oublier, pour plaire à l’autre.
S’oublier, voire aller à l’opposé de ce que l’on est au plus profond.
Et entretenir un personnalité narcissique, paradoxalement dans une “fixation affective à soi-même”, mais en réalité dans un fixation affective sur son faux self.
Faux self et lâcher prise
Certains définissent l’intelligence comme une capacité d’adaptation, comme par exemple :
L’intelligence, c’est la faculté d’adaptation.
André Gide
La vraie intelligence de l’être humain, c’est sa capacité d’adaptation. Les hommes se font à tout, y compris au pire.
Sebastiao Salgado
(voir plus de citations sur l’intelligence, et également quelques proverbes sur l’intelligence)
Mais quid d’une adaptation permanente ? Il semble inévitable, dans le cas où cet effort est incessant, en l’absence de temps de repos, que le stress, cette “difficulté temporaire d’adaptation”, s’installe. Peu à peu, insidieusement. Ou plus brutalement.
Là encore, il n’est pas interdit de s’interroger sur le caractère destructeur de cette injonction à l’adaptation permanente, résultat certainement d’une réflexion insuffisamment fine, qui met dans le même panier “adaptation ponctuelle” et “adaptation de tous les instants”.
Au final, si le faux self permet une souplesse, une flexibilité, une adaptation au quotidien, sans nuire au vrai self, il est, comme nous l’avons vu, utile.
Cependant, si le faux self prend le dessus, souvent dans le cas d’un vrai self faible ou fragile, le surdoué va internaliser le processus. Bientôt, il ne pourra plus du tout avoir accès à son vrai self.
Et c’est ainsi que le surdoué pourra mener une existence extrêmement heureuse, épanouie, aux yeux des autres… et ressentir un vide, une détresse, un mal-être au fond de lui.
Faux self et relation amoureuse
On entend parler de plus en plus, ces dernières années, et pas spécialement au sujet des surdoués, des “people pleasers”, notamment dans le domaine de la relation amoureuse, mais aussi dans celui de la relation amicale, ou encore de la relation professionnelle…
Ce qui montre bien, au passage, que la douance semble largement plus une question de différence de degré plutôt que de différence de nature. Le “people pleaser”, par définition, fait passer l’autre avant lui.
Mais ce qui peut être perçu comme de l’altruisme, autrement dit quelque chose de bénéfique, peut avoir des effets secondaires bien moins attrayants : en voulant systématiquement plaire à l’autre, on risque de ne plus être capable d’être soi-même.
Une sorte d’internalisation des conventions sociales.
Pire encore : si le zèbre prend conscience de ces mécanismes en jeu, souvent suite à un événement majeur comme une dépression par exemple, il risque d’être devenu à ce moment-là très difficile d’accéder à son vrai self. Celui-ci aura été avalé au fil du temps, pour tout ou partie, par le faux self.
Faux self et syndrome de l’imposteur
Et le cercle vicieux continue, se nourrit de lui-même… Le faux self est admiré, applaudi, parfois adulé. Le vrai self, lui, se fera alors toujours plus discret. Son existence est même devenue honteuse. C’est un poids, quelque chose qui appartient au passé, donc il faut se débarrasser à tout prix. Une anomalie, en somme, à éliminer, par la force si besoin – certains disent d’ailleurs que les surdoués souffrent plus que la moyenne de maladies auto-immunes, d’inflammations chroniques… et si…?
Autre conséquence de cette sur-adaptation, forcée : le zèbre peut devenir un control freak, un obsédé du tout-contrôle, un extrémiste du rien-lâcher. Ne reconnaît-on pas, d’ailleurs, certains extrémistes à leurs “on lâche rien” répétés jusqu’à la nausée ? Et, au passage, s’éloigner de ses émotions, de sa vraie nature, de son être.
Il ne semble d’ailleurs pas absurde de se demander si la notion de “faux self” n’évolue pas dans le voisinage du celle du “syndrome de l’imposteur” : cette idée selon laquelle je ne suis pas à ma place, je ne suis pas au niveau, les gens me surestiment etc. et la supercherie finira bientôt par être découverte… Le masque finira bientôt par tomber !
Synonyme de souffrance. Souffrance qui, si elle n’est pas traitée, donc au préalable identifiée, peut aboutir à un lâcher-prise toujours plus inaccessible, une radicalisation de l’interventionnisme, une phobie du “trou dans la raquette”.
Aux yeux du monde, parfois en se regardant dans le miroir, le surdoué se sent coupé de ce qui fait son humanité. Il a l’impression de n’être plus qu’une coquille vide.
Cette coquille, c’est ce faux self devenu obèse, étouffant, prédateur.
Et c’est à ce moment là que de multiples troubles et problèmes de santé peuvent apparaître : la dépression, nous en parlions un peu plus haut, mais aussi, en vrac, une grande susceptibilité, une colère qui consume (qu’elle soit dirigée contre le monde ou contre soi-même, souvent les deux), un sentiment de solitude dont il devient de plus en plus difficile de se défaire, ou encore des somatisations multiples (liste non exhaustive, naturellement).
Heureusement, aucune situation n’est sans issue. Même s’il est toujours préférable de ne pas nourrir trop fortement son faux self, afin qu’il reste… sous contrôle 😉
* Source : Donald Wood WINNICOTT, Distorsion du moi en fonction du vrai et du faux “self”, Dans Processus de maturation chez l’enfant : développement affectif et environnement. Paris, Payot, 1970, p. 118, repris sur la page Vrai self et faux self (Wikipedia)