Loi de Brandolini

Vous avez certainement entendu parler de la loi de Brandolini, ou “principe de Brandolini” ou encore “principe d’asymétrie des baratins“, lors d’une discussion sur internet. Peut-être ici même, lors d’un débat entre adultes HPE (Haut Potentiel Emotionnel) et HPI (Haut Potentiel Intellectuel).

Mais de quoi s’agit-il exactement ? On fait le point.

Qu’est-ce que la loi de Brandolini ? Définition

loi de Brandolini et infobésité
La loi de Brandolini dans un contexte d’infobésité (surcharge informationnelle)

Avez-vous déjà été confronté qui sort une ânerie monumentale dans votre domaine d’expertise ? Avez-vous réalisé à quel point réfuter les propos de cette personne n’est pas forcément si facile que ça ? D’autant que celle-ci est susceptible de faire preuve d’une grande confiance en elle (voir l’effet Dunning-Kruger, ou biais de surconfiance, un biais cognitif bien connu).

Scénario classique : celle-ci vous intime de “prouver qu’elle a tort”, renversant ainsi la charge de la preuve !

La loi de Brandolini fait référence à cela. Elle part d’un constat simple : autant il est très facile pour quiconque d’aligner de fausses affirmations à la chaîne (voir le concept d’ultracrépidarianisme), autant il peut être coûteux de réfuter correctement celle-ci.

Autrement dit :

La loi de Brandolini vous dit que quand vous avez un temps égal pour quelqu’un qui a dit quelque chose d’inexact et quelqu’un qui essaie d’expliquer pourquoi c’est inexact, la personne qui essaie d’expliquer pourquoi c’est inexact perd toujours.

Jean-Marc Jancovici

(détail amusant : Jean-Marc Jancovici affirmant sur les antennes de France Inter que l’avion disparaîtra forcément en même temps que le pétrole pourrait servir à illustrer cette page, tant cette affirmation “étroite”, probablement car en dehors du champ de compétences, est néanmoins difficile à réfuter)

La loi de Brandolini tire son nom d’une publication du programmeur italien Alberto Brandolini sous le titre Bullshit asymmetry principle (2013). Elle est devenue rapidement populaire… sans doute portée par l’explosion de l’utilisation des réseaux sociaux dans les années 2010, et leur viralité / effet boule de neige.

Les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui avant ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel.

Umberto Eco

De nombreuses études ont ainsi confirmé, au fil des années, ce que tout le monde avait rapidement compris intuitivement : la grande majorité des contenus sont relayés, voire partagés en masse, sans avoir été lus.

Cependant, Brandolini ne ciblait pas ici les propos de votre oncle gilet jaune – le mouvement n’existait d’ailleurs pas encore ;). Il réagissait cette année-là à une interview de feu Silvio Berlusconi, qui enfilait les fasses informations avec un aplomb dont seuls certains politiciens haut placés ont le secret.

On peut considérer ainsi que lutter contre la désinformation pourrait être un combat perdu d’avance tant il est nécessaire de mobiliser du temps et de l’énergie pour réfuter une stupidité… Ou démonter un narratif. Le combat est tellement inégal que, s’il est considéré sous cet angle, il est perdu d’avance.

D’autant que, même déconstruite, une fausse information continue de se propager. Et que le simple fait de la déconstruire peut être perçu comme une confirmation pour certains (cf la question du “fact checking”, ou “vérification des faits”… et la notion de biais de confirmation, bien tendu). Tout en sachant que le phénomène des bulles cognitives implique que la personne exposée à la fausse info ne le sera pas forcément au fact-check ou à déconstruction construite et argumentée !

Et ceci est d’autant plus problématique lorsque de fausses informations sont sciemment produites. Ce qui est inévitable dans une société digitalisée – tout comme la concentration des pouvoirs attire mécaniquement la corruption. La propagande n’est pas née au XIXème siècle : Etats, grandes entreprises, et autres bloggeurs et influenceurs utilisent simplement les outils du moment pour parvenir à la fin, quelles qu’elles soient.

Vous l’avez compris : si la “loi de Brandolini” n’a pas de fondement scientifique, elle nous invite à nous interroger sur une problématique très actuelle.

Nos adversaires dans la discussion ont sur nous un avantage signalé. Ils peuvent en quelques mots exposer une vérité incomplète ; et, pour montrer qu’elle est incomplète, il nous faut de longues et arides dissertations.

Frédéric Bastiat, Sophismes économiques

Loi de Brandolini et inversion de la charge de la preuve

Qu’est-ce que tout cela donne concrètement ? Voyons un exemple : si votre voisin affirme que la terre est plate, et que vous vous en étonnez, il y a deux solutions :

  1. soit il argumente, il prouve son affirmation,
  2. soit vous essayez de lui prouver qu’il a tort

Problème : si vous partez pour l’option 2, vous avez déjà perdu 😉

On parle d’inversion de la charge de la preuve. Il s’agit d’un sophisme particulièrement redoutable – et particulièrement redouté des professionnels du droit et des scientifiques.

Heureux les ignorants“, entend-on parfois. Si l’on pose cette hypothèse et que l’on essaie de l’expliquer… Peut-être parce qu’ils ont plein de temps libre et sont bien reposés… 😉

Comment lutter contre la désinformation grâce à la loi de Brandolini ?

Comment lutter contre la désinformation dans un contexte de Big Data et d’informations toujours plus nombreuses ? Sans doute en apprenant à supporter l’incertitude.

Être intelligent : condition nécessaire, certainement. Mais pas suffisante. Car bien penser, cela s’apprend. Et cela s’entretient. Au quotidien. Un véritable hygiène en somme, telle un “manger bouger” du cerveau.

En s’autorisant à ne pas savoir, en acceptant qu’il est impossible de tout savoir (ne vous laissez pas tromper par les mots au début de cette page 😉 ), en sortant d’une lecture religieuse du monde (le “chemin de la Vérité”)… En intégrant donc, à la manière d’un apprenti Jedi, que “toujours en mouvement est l’avenir” (ou pas… accepter l’incertitude, on a dit 😉 ). Et qu’un être humain, aussi brillant, honnête et compétent soit-il, reste une petite créature si limitée et fragile à l’échelle de l’univers…

On mesure l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitudes qu’il est capable de supporter.

Emmanuel Kant
loi de Brandolini et amour de la vérité
Aimer la vérité, oui. Avec Brandolini !

En apprenant la modestie, donc. Mais plus qu’à l’échelle individuelle. A l’échelle d’une espèce, d’un monde, d’une Histoire…

En s’habituant à ne pas rien accepter sans preuve. Ce qui ne veut évidemment pas dire accorder une confiance aveugle à des vérificateurs de faits…

En pratiquant chaque jour une bonne hygiène, si besoin à l’aide d’outils, comme le célèbre rasoir d’Ockham

La loi de Brandolini met en évidence l’importance de lutter contre la désinformation, qui est l’affaire de tous, chaque jour. Elle nous invite à vérifier tout, en particulier ce qui nous semble aller de soi ! Un narratif, aussi séduisant soit-il, n’est qu’un narratif : ce n’est pas parce que quelqu’un a connecté deux points que le lien existe a priori.

Elle rappelle le besoin de hiérarchiser l’information, de ne pas mettre toutes les sources au même niveau… Ce qui, là encore, ne signifie aucunement que des sources jugées fiables sont pures et parfaites. Relire, si besoin quelques lignes plus haut 😉

A chacun de s’intéresser (ou non, liberté fondamentale) aux stratégies de manipulation des masses, de l’information etc. mais aussi à celles, tout aussi redoutables, élaborées par des électrons libres. Sans oublier les pathologies mentales : ne pas oublier qu’absolument n’importe qui peut potentiellement s’adresser au monde entier, magie d’Internet oblige 🙂

A défaut de creuser le sujet, chacun doit a minima avoir conscience que sa vision du monde n’est PAS le réel. Par nature, notre perception est un filtre, des lunettes, une grille de lecture, un écran qui nous rapproche et nous sépare, tout à la fois.

Loi de Brandolini et douance

Mais alors, un surdoué est-il avantagé en matière de principe de Brandolini ? Comme toujours, rien n’est moins sûr 🙂

Rappelons tout d’abord que Brandolini ne nous a pas invité individuellement, mais a plus mis en évidence le fait que la désinformation est un danger croissant dans nos sociétés développées, connectées, mondialisées.

Néanmoins, il est tentant de penser que les adultes zèbres sont mieux dotés que la moyenne pour détecter les erreurs, incohérences et autres trous dans la raquette.

Nous pourrions donc poser comme hypothèse que les HP pourraient être de véritables détecteurs de bullshit, grâce à leurs capacités cognitives hors du commun et à l’énergie qui semble les animer lorsqu’un sujet les passionne.

Ainsi, le surdoué pourrait pencher pour des sources fiables – ou du moins plus fiables que le reste de la population.

Il pourrait aussi, besoin de réponses oblige, tendre à creuser, douter, confronter, remettre en perspective…

Dans un monde idéal, la société aurait-elle intérêt à s’appuyer sur des surdoués experts, pour démêler le vrai du faux ?

Curiosité intellectuelle et désir d’apprendre : un mélange explosif, n’est-ce pas ? Et si nous n’avions, tout compte fait, pas besoin de psychologue spécialisé Haut Potentiel ? 🙂

Mais ne serait-ce pas allé un peu trop vite en besogne ? Si l’observation des échanges en ligne entre zèbres ne semble pas valider cette hypothèse, peut-être est-ce parce qu’ils ne sont pas à l’abri des biais cognitifs, évoqués un peu plus.

Et puis, l’impression de décalage du surdoué, le fait de se sentir en décalage avec les autres en permanence, n’expose-t-il pas plus à des discours “en marge”, qui serviraient tout autant de réponse facile et de réconfort émotionnel (à défaut de se réfugier derrière un Faux Self, peut-être) ?

Allons plus loin : et si les caractéristiques du Haut Potentiel reprenait d’une main ce qu’elle donne de l’autre ? Ce qui nous amènerait à considérer, lorsque l’on parle de douance, plus une différence de nature que de degré, en matière d’intelligence.

Le surdoué, s’il se montre particulièrement rapide à réagir à certaines données, n’est-il pas dans le même temps moins vif que la norme pour d’autres.

Comme le confirment plusieurs études scientifiques conduites ces dernières années. Au point de faire consensus ?

On en revient ici à la notion de scepticisme. La boucle est bouclée. Mais l’est-elle vraiment ? 😉

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