Ecriture
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Les verroux
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Les verroux
Aujourd’hui, j’ai entendu le son caractéristique d’un déclic.
Pourtant, à y regarder de plus près, il semble que les personnes assises à mes côtés, dans cette petite laverie de quartier, au coin de la rue Gabriel Devèze, n’ont absolument rien entendu ni remarqué.
En mon fort intérieur, je m’étonne et m’insurge presque qu’ils continuent à s’afférer, dans la plus grande indifférence, alors qu’un événement que j’estime de la plus haute importance vient de se réaliser dans cet espace confiné.
Mais je leur pardonne. Je leur pardonne de ne pas être dans ma tête.
Probablement aurait-il fallu qu’un observateur attentif judicieusement placé face à moi, tout entier dévoué à l’analyse des expressions de mon visage, comprenne alors que la marche de mon monde venait d’être très subtilement modifiée, que je venais de me révéler à moi-même et d’accomplir quelque exploit personnel. Rien de moins.
Oui, ce jour doit décidément être marqué d’une pierre blanche et je le marque d’autant plus volontiers, que j’observe un timide phénomène d’accumulation. J’ai déjà pu poser trois lourdes pierres blanches ce mois-ci et je me plais donc à croire qu’un chemin à bien été pris de ma part, du moins que quelque chose de petit et de bon est en construction, après plusieurs mois de marasme émotionnel. S’il est bien trop tôt pour l’affirmer, et que les certitudes sont dangereuses, l’espoir est bien là tout du moins.
Les gens me parlent, mais je ne les entends que peu et surtout je ne les écoute pas.
Bien souvent mon esprit dédaigne devoir fournir cet effort de concentration et de mémorisation envers mon prochain, de s’intéresser profondément et sincèrement à lui. Non pas que ce dernier ne le mérite pas ou que je m’estimerais d’une essence supérieure à la sienne, mais mon esprit se complaît merveilleusement dans l’égocentrisme et revient, encore et toujours… à moi. Il semblerait qu’autrui m’intéresse mais seulement sous certaines conditions: Il m’intéresse s’il me permet de parler de moi, s’il me montre une facette, une force, un trait de personnalité que j’admire et que j’aimerais cultiver et retrouver un jour en moi, ou bien s’il me permet de résoudre un problème que je ne peux démêler seule. Il m’aide lorsque les pensées omniprésentes deviennent particulièrement pesantes, malsaines et que les extérioriser est le seul moyen de pouvoir les classer et les faire évoluer vers le but recherché.
Ainsi je ne prête réellement l’oreille et n’accorde la parole à mon prochain, que dans le but caché de ne penser qu’à moi, de ne parler que de moi, mon cerveau prompt à toujours faire des liens. L’égocentrisme est une discipline que je pratique avec un talent certain, je dois l’admettre. Je suis un sujet dont je ne me lasse jamais (ou faussement). D’ailleurs, quel est le but de tous ces tourments futiles que je m’impose, si ce n’est de passer le temps et d’avoir la satisfaction plus tard de pouvoir les résoudre et de me convaincre de mon propre pouvoir, de ma valeur…
Parfois, quand la détresse (que je m’inflige) est grande, quand je me suis trop jouée de moi, j’essaie pieusement “d’écouter” l’autre. Dans ces moments là : tout est bon à prendre. Souvent d’ailleurs je n’hésite pas à demander conseil à tout le monde, même aux cordonniers les plus mal chaussés, convaincue que si je ne trouve pas la réponse en moi-même, alors aucune autre piste, même la plus saugrenue ne doit être exclue. La réponse doit impérativement être trouvée, elle est là quelque part.
C’est alors que parfois, la perversion se renforce. On me donne la réponse, à plusieurs reprises, de différentes manières, pendant plusieurs années mais elle ne rentre pas. Mon esprit se refuse d’ouvrir la bouche ou bien de digérer.
Parce que tel un enfant têtu, il décide qu’il ne cédera pas. Peut être maintient-il la frustration pour d’autant plus apprécier le goût du bonbon plus tard ? Peut-être cherche-t-il à préserver ce nœud pour en rendre le dénouement d’autant plus heureux.
Peut-être aussi tout simplement n’est-il pas encore câblé pour en capter la fréquence.
Il conçoit rationnellement le problème ainsi que la solution (théorique ou pratique) mais ne pouvant ni rattacher cette solution à une émotion profonde, ni à une expérience de vie, ni même à un impératif de survie…il la balaie négligemment ou discrètement d’un revers de la main. Le problème alors demeure, encore et encore.
Aujourd’hui, une personne s’est tournée vers moi pour obtenir conseil, me questionner, sujette au doute quant à ses aspirations profondes et à son chemin de vie. L’occasion rêvée pour moi de parler de MOI. C’est donc grâce à elle que j’ai eu un déclic et grâce aux nombreuses tentatives ratées précédentes.
Depuis un certain temps, j’oscille entre deux pôles :
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L’acceptation de mon Être: me porter un amour véritable, m’accepter comme je suis, maintenant, voir la “merveille” en moi, comprendre que je suis, déjà. M’ancrer dans le présent.
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Le refus de mon Être et l’impératif de changement: le besoin d’accomplissement, de tendre vers une meilleure version de moi-même, le refus d’accepter mes limites – qui s’imposent à moi et que je ne peux objectivement nier (!) – et le désir d’aller aussi loin qu’il me serait possible. La quête insensée de la perfection – tout du moins d’atténuer ma médiocrité – et l’espoir un jour, de pouvoir “enfin” franchir une quelconque ligne d’arrivée et obtenir une quelconque récompense. D’ailleurs “n’est-il pas triste de ne jamais changer, de rester “la même” toute sa vie?”
Faut-il s’accepter ou faut-il changer ?
A quelle Église, à quel saint se vouer ?
Une fois la ligne d’arrivée franchie…que faire? En créer une nouvelle ? S’asseoir ?
J’étais capable de concevoir intellectuellement que la perfection n’est qu’un concept et n’existe pas…sans pour autant accepter d’y renoncer, de ne pas chercher à m’en rapprocher.
J’étais capable d’entendre et de me répéter que ce qui compte “c’est le chemin parcouru”. De valider l’idée que la récompense arrive en différé, quand on ne l’attend plus, la ligne apparaissant alors derrière notre épaule.
Je comprenais le concept de patience, de bienveillance et la logique des petits pas.
Mais je n’en étais pas moins incapable d’application. Je n’en fantasmais pas moins sur l’avenir, je ne gardais pas moins les yeux fixés sur une invisible ligne d’arrivée mouvante, espérant une “fin” à cette lutte constante.
On pouvait bien me parler d’exigence abusive, de masochisme, de parent intérieur persécuteur, ou de maltraitance…je n’en voyais pas moins là une utilité réelle, le carburant qui me permettait d’avancer.
Les timides ponts entre ces deux pôles, que certains me proposaient parfois, à savoir : “tu deviens une meilleure version de toi même en t’acceptant telle que tu es“, OU “avance avec bienveillance” étaient entendables, logiques et de surcroît plaisants mais là encore, malgré tout, je ne captais pas sur du long terme cette fréquence, finissant toujours, tôt ou tard, par revenir dans cette danse entre deux pôles a priori antagonistes.
Aujourd’hui je crois avoir réussi à faire un lien. Du moins, à enfin m’approprier, reformuler, imager le lien que tant de personnes ont cherché à me faire comprendre, tant de fois, en vain.
En fait, ma ligne d’arrivée n’est ni devant, ni derrière mon épaule. Elle est l’espoir, la confiance (dans) et la conscience aigüe du pas.
“Z’avez rien compris ?”
Eh bien oui, désolée…
Mais que voulez-vous…Je ne suis pas la Reine des Kassos pour rien. C’était mon verrou, un de mes verroux, et maintenant j’ai enfin une image et des mots qui font sens pour moi…
C’est guidée par une peur de l’oubli de cette journée, de cet instant conscient, que je me suis efforcée de l’écrire noir sur blanc, comme pour ancrer ce souvenir profondément dans ma mémoire et le rendre (idéalement ?) indélébile.
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