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États dangereux, délinquance et santé mentale
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États dangereux, délinquance et santé mentale
Bonjour à tous,
En me lançant dans la lecture du programme de Zemmour (ce lutin diabolique est omniprésent ma parole!!!) et en voyant les différents chiffres évoqué au sujet de la sécurité, j’ai ressenti le besoin de partir à la recherches d’études sur la criminalité dans les pays industrialisés.
J’ai donc trouvé cette étude dont je vais essayé de cerner les points qui m’intéressent (courage, l’étude fait 6 pages en police d’écriture à te choper un cancer des yeux):
https://www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2007-8-page-655.htm?contenu=resume
Déjà, voilà le résumé :
Les représentations de la violence et de la maladie mentale ne sont pas dissociables des courants qui infiltrent les sociétés démocratiques contemporaines. Les peurs et l’insécurité se développent depuis les années 1975 avec l’effondrement du modèle de l’état providence des années suivant la dernière guerre mondiale, construit sur le salariat et l’assistance sociale. L’augmentation du chômage de longue durée, les difficultés d’insertion professionnelle des jeunes, comme le chômage tardif des seniors et l’émiettement de la protection sociale, renforcent la peur de l’avenir et les craintes du lendemain. L’insécurité est devenue la grande préoccupation des politiques et le législateur multiplie les lois sécuritaires en diffusant une politique de tolérance zéro qui fait du malade mental un bouc émissaire facile d’autant que son insertion est devenue plus aléatoire. Pour autant, il est indispensable que les équipes psychiatriques soient conscientes que les troubles mentaux graves sont à l’origine d’un risque majoré de violences ou même d’homicide, cela en dehors de tout abus de substance. Ce risque est majoré par toute rupture de soins et est plus important quand le patient a des antécédents de violence et dans les 20 semaines suivant sa sortie de l’hôpital. Il faut néanmoins se garder de confondre crime et maladie mentale en se rappelant par exemple que si, dans les pays industrialisés, le taux des homicides est compris entre 1 et 5 pour 100 000 habitants, les troubles mentaux graves ne seraient responsables que de 0,16 cas d’homicide pour 100 000 habitants, la maladie mentale ne concernant que moins de 1 homicide sur 20.
Je vais essayer de faire une petite synthèse de chacun des axes de développement de l’étude, même si ce n’est pas mon fort…
Des données contradictoires
Des données contradictoires nourrissent le débat du rapport entre délinquance et maladie mentale :
– les études publiées sur les troubles mentaux de la population pénale avancent que près de la moitié des détenus
seraient porteurs de troubles mentaux ;
– les données de criminologie internationale rappellent que
seul 1 homicide sur 20 à 1 sur 50 est commis par un malade
mental et que moins de 1 % des auteurs de violences
sexuelles auraient une pathologie psychiatrique évolutive
selon l’axe 1 du DSM.Bon, déjà, on sent que ça va être un sujet excessivement simple à analyser 🙃
Un contexte : la recrudescence des peurs sociales
Le débat sur la stigmatisation des personnes ayant des
troubles mentaux survient dans un contexte particulier,
marqué par deux phénomènes :
– la recrudescence des peurs sociales générant une politique sécuritaire avec peur du crime et assimilation du criminel au malade mental ;
– le développement du courant de populisme pénal et
l’abandon du modèle du penal welfare state de l’après
guerre ;
– une prise de distance de la psychiatrie publique devenue
santé mentale avec les données de la clinique classique,
notamment en ce qui concerne les psychoses chroniques et
leur volet médicolégal avec absence de transmission de
savoir entre équipes. Cette prise de distance a bien un
rapport avec la desinstitutionnalisation et la mise en place
d’un modèle ambulatoire de psychiatrie publique mais
aussi avec le développement de prises en charge thérapeutiques efficaces avec l’essor des antipsychotiques de nouvelle génération et le moindre emploi des neuroleptiques à action prolongée. Les ruptures de soins sont décrites
comme plus fréquentes et la judiciarisation de nombreux
malades mentaux en est la conséquence.Là on voit la notion de “populisme pénal” que je ne connaissais pas et qui m’a donné envie de faire quelques recherches. Finalement, je m’arrête au premier lien que je trouve à ce sujet (article de France Culture) et dans lequel je vois ça:
Gilles Chantraine évoque les théories abolitionnistes qui expriment un rejet éthique de la prison, comparable à celui de la peine de mort ou des anciens supplices. Un rejet qui trouve à « s’articuler à une critique politique des rapports de domination, notamment économiques ». Dans un livre qui est au aujourd’hui au programme des concours de l’Administration pénitentiaire, Surveiller et punir, Michel Foucault déroulait déjà la monotone et sempiternelle litanie des déficiences bien connues de la prison, qui ne diminue pas le taux de criminalité, provoque la récidive, fabrique des délinquants en créant un milieu et une culture propice, et en précipitant dans la misère la famille du détenu. Mais, relève le sociologue, « l’institution se nourrit de sa propre critique : si le dispositif est en échec, c’est qu’on n’y a pas mis assez de moyens ». D’où les programmes de construction de nouvelles prisons, qui reproduiront immanquablement les mêmes défauts. Spécialiste de sociologie carcérale, Gilles Chantraine considère que les arguments des abolitionnistes ne parviennent pas à résoudre certaines difficultés, comme les crimes les plus dommageables, au rang desquels il mentionne également « la délinquance écologique et fiscale pratiquée par des États ou de grandes entreprises ». Mais l’abolitionnisme a impulsé « un courant de pensée et de résistance pour tous ceux qui désespèrent de l’inertie des systèmes pénaux et de la violence des rapports de domination auxquels ils s’adossent »
Le lien est ici:
https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-des-idees/le-populisme-penal
@byaku j’ai forcément envie de te demander ce que tu en penses…
Dans cet article, on trouve aussi ce genre de discours :
(…)dans un dossier sur la décroissance carcérale où figurent en bonne place les pays scandinaves ou l’Irlande, avec des cas plus disputés comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, ces derniers fermant leurs prisons pour en louer d’autres en Belgique, qui voit du coup les siennes exploser. Même les États Unis, dont la population carcérale a quintuplé ces dernières décennies du fait d’une aggravation de la sévérité des peines, remet aujourd’hui en question le recours massif à l’incarcération, sous les effets conjugués de la pression économique et d’une opinion publique de plus en plus sceptique devant le taux élevé de récidive. Dans tous les cas, deux éléments sont déterminants : les responsables politiques sont davantage à l’écoute des chercheurs en sciences sociales qui arpentent le terrain, afin de trouver des solutions moins coûteuses et plus efficace pour améliorer la sécurité publique(…)
ou
(…)Au lieu de poursuivre l’ambition de sa prédécesseure d’un moindre recours à l’emprisonnement, le ministre de la Justice emboite le pas au chef du gouvernement qui a ouvert le chantier de plus de 16000 cellules réparties en 33 établissement, alors même que « les enjeux sécuritaires » dont il se prévaut, en se gardant bien de dire qu’il s’agit là d’un choix de politique pénale, ne correspondent en rien à l’évolution de la criminalité, laquelle est stable, voire en diminution pour les homicides et les vols. Comme on sait, ouvrir de nouvelles prisons, c’est les remplir, et tourner le dos aux aménagements de peine qui ont un effet direct sur le taux de récidive(…)
Là, je suis un peu perdu parce qu’on parle d’une évolution stable de la criminalité, voir une diminution pour les homicides et les vols alors que le chiffres de Zemmour donnent plutôt ça :
– 2081 homicides et tentatives d’homicides entre 2008 contre 4472 en 2020…
– Une augmentation de minimum 20% des vols et cambriolages entre 2008 et 2019
Bon, peut-être que les tentatives d’homicides ne sont pas prises en compte dans l’article de France Culture… A creuser… En tout cas, c’est toujours déroutant de constater ce genre d’écarts.
Prochain axe :
Peur et obligation de penser pour les soignants
La recrudescence des peurs sociales est une constatation
dans tous les pays industrialisés [21]. Les études réalisées
sur les mesures de la peur du crime laissent penser que
55 % des Suisses, la moitié des Portugais, 45 % des Japonais, 40 % des Belges et 36 % des Français vivent dans la
peur du crime, peur d’être agressés au point de ne pas sortir
le soir ou de limiter leur vie sociale. En opposition, les pays
qui ont mis en place une justice réparatrice connaissent des
peurs bien moindres : 25 % des Canadiens ont peur et
uniquement 20 % des Finlandais [16].
Cette augmentation des phénomènes de peur et d’insécurité dans nos pays [17] est rapportée à l’influence de la
médiatisation de la violence « ordinaire » où l’exceptionnel est généralisé dans les représentations avec judiciarisation de la violence privée, celle qui touche la famille ou le
couple. (…) On constate que, dans nos sociétés contemporaines, plus
le crime se rapproche de la vie quotidienne, plus il suscite
une crainte de contamination, plus est grande l’émergence
de l’exigence de punition, plus la médiatisation généralise
et rend universelle et plus s’estompe en nous la capacité à
prendre en compte une information objective et pondérée,
notamment sur le déterminisme individuel du crime pouvant susciter compassion pour le criminel. Tout se passe
comme si tous, saisis par l’émotion, nous oublions de
penser.
Ce phénomène touche aussi les équipes soignantes en
psychiatrie avec la diffusion des peurs, l’augmentation des
plaintes déposées à l’encontre des malades, le sentiment
que ceux-ci sont de plus en plus violents (…) Cela est d’autant plus perceptible que la clinique médicolégale est oubliée alors qu’elle devrait apporter un éclairage
individuel à la psychopathologie et donc au risque de violence (…)Irrationalité de nos peurs : nécessité
d’une analyse critique des chiffres de la criminalitéLa peur du crime est dans les pays industrialisés le plus
souvent associée dans nos représentations à la peur de
l’homicide. Contrairement aux représentations se développant dans de nombreux pays, les homicides sont en diminution dans tous les pays et depuis des siècles (…) En France, en reprenant les chiffres clés de la justice,
publiés en octobre 2005, les homicides volontaires concernent 492 personnes en 2004 versus 504 en 2003 et, si la
délinquance constatée dans des cités chaudes augmente, on
constate en fait une baisse des crimes et délits entre 2001
et 2005.
L’étude de l’homicide laisse donc penser que nos peurs
sont en grande partie irrationnelles et qu’elles sont contaminées tout à la fois par la médiatisation et par l’influence
d’une criminalité beaucoup plus proche des incivilités et
des violences groupales des cités urbaines difficiles relayée
par les médias.Insécurité et diffusion de la politique pénale
de tolérance zéroFace au sentiment d’insécurité et à la peur du crime, tous
les pays industrialisés répondent, dans le sillage des EtatsUnis, d’une politique pénale de tolérance zéro [2]. Cette
politique a été développée aux Etats-Unis dans les années
1984 à partir de la thèse de Charles Murray, Losing
Ground, American Social Policy, dans laquelle C. Murray
fait une critique en règle de la sur-assistance sociale qui,
d’après lui, est responsable de la diffusion d’une criminalité acquisitive, première étape vers une criminalité de
bande et organisée (…) Pour
C. Murray, c’est le premier pas dans le développement
d’une criminalité organisée. La réponse doit être pour lui une répression indéfectible de cette petite criminalité
acquisitive avec une tolérance zéro vis-à-vis de tout délit.
Dans le sillage de Charles Murray, Georges Kelling et
Charles Colles prônent une répression indéfectible de toute
incivilité. Appliquée à la criminalité du métro de NewYork
dans les années 1987 par William Bratton, les idées de
Charles Murray et l’expérience de William Bratton se développeront dans les pays anglophones avant d’être repris en
Europe et depuis quelques années dans notre pays. Pourtant, l’information a été diffusée de l’incidence ravageuse
de cette politique pénale aux États-Unis sur la multiplication des incarcérations pour des petits délits et le développement exponentiel des établissements pénitentiaires (…)Réponses au coup par coup du législateur
et empilage de lois répressivesDans de nombreux pays européens, la même constatation est faite : le législateur est devenu très (trop) dépendant
des phénomènes médiatiques et a tendance, dès qu’un
crime a un écho important dans l’opinion publique, à
répondre au coup par coup par une nouvelle loi sécuritaire.
Cette dépendance du législateur et des politiques à l’opinion publique est constatée depuis une quinzaine d’années
mais elle se développe depuis une décennie. Notre pays
n’échappe pas à la règle et on constate la sortie annuelle ou
bi-annuelle de lois sécuritaires (…) L’ensemble de ces lois a une incidence directe sur la
petite criminalité que peuvent connaître certains schizophrènes mal insérés et on peut penser que les malades
mentaux psychotiques sont en position de bouc émissaires
tout trouvés : la célérité voulue à juste titre dans une justice
moderne fait que nombre de malades mentaux ne sont pas
repérés dans l’enquête de flagrance, ni dans une garde à vue
avant une comparution immédiate et que, par ailleurs, ils
sont manifestement bien en difficulté pour se défendre dans
un plaidé-coupable à la française.
On constate aussi que les troubles du comportement des
mineurs de 16 à 18 ans, comme ceux des jeunes majeurs,
sont particulièrement réprimés par ces lois sécuritaires,
sans que leurs troubles pathologiques puissent être repérés.Le développement d’une société
de sécurité, l’essor du populisme pénal
et d’une justice centrée sur la victime
dans un empilage de lois sécuritairesDepuis les années 1975, s’installe dans les pays démocratiques un courant d’insécurité du fait de l’effondrement du modèle de l’état providence des années qui a suivi la
dernière guerre mondiale, construit sur le salariat et l’assistance sociale, prolongement de la « sécurité sociale » de
notre pays. L’augmentation du chômage de longue durée,
les difficultés d’insertion professionnelle de jeunes, comme
le chômage tardif des seniors et l’émiettement de la protection sociale, renforcent la peur de l’avenir et les craintes du
lendemain [2]. Le pacte social de l’après guerre qui
s’appuyait sur la nécessité d’un pari sur la capacité de
l’homme à rebondir grâce à une assistance transitoire
s’effondre. Bien au contraire, l’assistance est assimilée à
une faiblesse fragilisant l’individu en difficulté et l’éloignant d’une morale de l’effort. Bien au contraire, l’assistance est assimilée à
une faiblesse fragilisant l’individu en difficulté et l’éloignant d’une morale de l’effort. Le modèle pénal issu de
l’après guerre, le modèle du penal welfare state ou état
providence pénal, décrit par Denis Salas [18] comme celui
d’un « état bienveillant prodiguant des soins pour l’inadapté et offrant du travail aux déviants occasionnels » est
battu en brèche par le développement des peurs sociales (…) Les politiques sont
élus sur la base de leur capacité à être en phase avec la
réprobation populaire : pas de distanciation, plus d’appel à
la raison et point de prise de hauteur : leur réponse doit être
immédiate : présence sur les lieux du drame, communiqués
express et proposition immédiate de durcissement de la loi
pénale allant dans le sens d’un empilement de lois peu
applicables du fait de leur foisonnement. Du modèle du
législateur raisonnable et paternaliste et sûrement trop à
distance des frayeurs populaires entretenues par l’image
télévisée, on passe à celui du politique éponge des peurs
médiatiques faisant son image sur sa capacité de compassion pour la victime et de répression inflexible pour
l’auteur (…)Bon voilà, je suis vraiment pas doué pour la synthèse mais je vous mets juste les noms des axes qui suivent sans les développer :
Une clarification indispensable
sur le rapport entre violence
et maladie mentaleRepérer les facteurs spécifiques
de la violence pour mieux la prendre
en chargeEt la conclusion :
Aborder les rapports entre violence et maladie mentale
ne peut se faire sans prendre en compte l’évolution de nos
sociétés démocratiques infiltrées par l’insécurité et le développement des peurs. L’abandon du modèle social de l’état
providence est parallèle à la remise en cause du modèle
pénal qui l’accompagnait, le penal welfare state qui était
caractérisé par un pari fait sur la capacité de la personne à
s’amender du fait de l’individualisation de la peine et d’un
accompagnement social et éducatif. Dans le même temps,
le malade mental peut devenir, si on n’y prend garde, le
bouc émissaire des politiques pénales sécuritaires de tolérance zéro. La clinique médicolégale doit être soigneusement préservée et transmise dans la culture des équipes
soignantes, sans nier les risques de violence de nos patients
ni les banaliser. La vigilance des soignants est dans ce
contexte plus que jamais sollicitée pour donner une lecture
clinique de leurs passages à l’acte, les prévenir et restituer
la souffrance dans son humanité.@jabberwocky @gueko
Je serai curieux de savoir ce que vous en pensez, si vous avez du temps à y consacrer.
Plus globalement, je trouve cet article vraiment très intéressant mais comme je n’y passerai pas ma vie, j’avoue que je suis preneur des réactions des membres de ce forum.
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