Vaughan Oliver / 23 Envelope

  • Membre Inconnu

    Membre
    24 mars 2018 à 16 h 22 min

    Images et empreintes acoustiques
    à propos de Vaughan Oliver, de V23 et de 4AD

    Les pochettes de disques sont devenues peu à peu des créations à part entière. Elles restèrent exclusivement fonctionnelles jusqu’au milieu des années 60 où l’on considéra qu’elles pouvaient devenir une extension visuelle de l’œuvre enregistrée. Ce virage se profile réellement avec Sergent Pepper des Beatles mais reste encore une mise en scène ou une galerie davantage représentative de la coloration musicale de l’album qu’une signature graphique. Elles furent occasionnellement un espace de représentation dans les années 70, mais c’est la décennie suivante qui consacra la pochette de disque comme œuvre créative à part entière. Ce virage fut effectif avec l’émergence d’un phénomène culturel qui consacra le graphisme comme un art nouveau, de plus en plus dégagé de sa filiation publicitaire. L’exemple d’Andy Warhol et du Velvet Underground témoigne de l’interpénétration de plus en plus manifeste entre les différentes formes d’expression et constitue aussi l’un des facteurs de la transhumance du graphiste vers le statut d’auteur et d’artiste.

    Le label indépendant 4AD encouragé par l’exemple de Factory, voulut se distinguer en soumettant la direction artistique et la création d’identités visuelles de ses couvertures d’album au graphiste Vaughan Oliver. L’objectif était de dégager une démarche artistique profonde en intervenant dans toutes les dimensions du disque. Vaughan Oliver eut à définir un paysage visuel en concordance avec l’espace sonore de chaque personnalité avec à chaque fois une déclinaison permettant de tenir compte de l’évolution des formations musicales. Oliver a défini une relation étroite entre différents modes d’expressions et influences, allant de Neville Brody pour la typographie au dadaïsme (voir pochette Ultra Vivid Scene) et Support-Surface pour le rapport peinture/matière. Ces mêmes soucis de porosité ou d’imbrication ont abouti à d’étonnants langages et codes musicaux. Les polices de caractères par exemple se chargent d’accents, de sons et de notes tout en participant pleinement à la composition plastique de l’image. Les figures et les formes présentes sur les couvertures sont toujours des interprétations graphiques du contenu musical.

    Cette démarche conduisit Vaughan Oliver à collaborer avec de nombreux photographes et graphistes au point de créer 23 Envelope (V23), un studio de création graphique au sein du label 4AD. Nigel Grierson, Simon Larbalestier et Chris Bigg furent ainsi parmi les personnalités les plus sollicitées par Vaughan Oliver promu à cette occasion directeur artistique. Chez le premier, la photo agit souvent par jeux de transparences, découpages ou associations avec le reste des éléments composant le visuel. On est tenté de faire d’ailleurs un rapprochement entre ce travail et celui de Joan Fontcuberta (voir pochette Clan of Xymox). Par la suite, les univers photographiques de ces pochettes vont aussi aborder et décliner nombre d’effets techniques courants dans les années 80. Ainsi, les premières années de la décennie sont largement marquées par un traité flou, granuleux et des sujets en suspends et monumentaux semblables aux clichés de Joan Soulimant ou Corinne Mercadier (voir pochette Le Mystère des voix Bulgares). Parfois les représentations humaines se fondent en plans successifs pour s’imprégner de l’image, se laissent envahir par d’autres éléments ou s’estompent carrément. La musique contenue dans le disque devient en ce sens la profondeur ou l’âme de la pochette (voir pochette This Mortal Coil).
    Les photographies de Simon Larbalestier, davantage tournées vers les années 90, présentent d’autres champs d’intérêts. Le photographe et le graphiste cultivent l’art de la citation, révélant de fortes connivences avec les univers d’artistes comme Joël-Peter Witkin et John Coplans (voir la série de pochettes réalisées pour les Pixies), mais aussi de cinéaste comme Bunuel ou Lynch. Le langage typographique va aussi occuper une place plus déterminante dans l’occupation de l’espace, être plus codifié et tendre vers l’abstraction, revisitant une vénérable préoccupation de V. Kandinsky quant à la représentation musicale (voir pochette Heidi Berry).

    Quant à Chris Bigg, déjà connu pour son travail auprès de Beggarts Banquet en particulier sur les pochettes de Fields of Nephilim, son apport calligraphique complète un vœu évident de créer à partir du nom des différents groupes des icônes sonores uniques. Ainsi, chaque groupe est non seulement rattaché à un univers personnalisé mais possède aussi un logotype distinct.

    Quoiqu’il en soit, la pochette de disque devient un espace illustratif où toutes les techniques graphiques fusionnent jusqu’à questionner la matière du support imprimé. A l’apogée du vinyle, Vaughan Oliver a produit des créations comprenant des différences de vernis sur une même pochette et n’hésitera pas à faire appel à des qualités de papier variables en fonction de l’univers qu’il aura défini. C’est d’ailleurs avec l’apparition du disque compact que s’amorcera inexorablement le déclin de 23 Envelope. Certains ont vu avec la réduction du disque et la standardisation de son boîtier la fin annoncée de l’espace de création que fut le vinyle et le retour du graphiste aux exigences du packaging publicitaire. 4AD et Vaughan Oliver ont ainsi toujours été liés au point de porter en chacun d’eux la part de naufrage de l’autre. Le label a perdu au milieu des années 90 sa force créative peut être à cause de la force de son identité qui lui a interdit toute compromission avec la modernité.

    Le culte des pochettes de 4AD existe bel et bien. De plus en plus de collectionneurs recherchent à travers elles une oeuvre signée en surface et en profondeur par des artistes réunis dans un même clan et un même espace. Paradoxalement, les disques signées 23 Envelope font l’objet d’un engouement qui dépasse souvent la popularité des formations qu’elles sont censées mettre en valeur. Ce constat fut à l’origine de certaines tensions chez 4AD, mais permis également de mettre en lumières quelques productions qui seraient probablement resté dans l’anonymat sans leur signature graphique .
    Le seul livre offrant un éventail assez large des réalisations de Vaughan Oliver, reste Visceral Pleasure. Malgré un parti pris iconographique très discutable, un manque de « pleines pages » et une qualité de reproduction parfois médiocre, l’ouvrage reste une véritable mine de trésors. Les textes (uniquement disponibles en anglais) sont clairs et laissent entrevoir de nombreuses pistes sans tomber dans la lourdeur didactique ou pire la prétention universitaire. Il n’existe en outre, que peu d’écrits sur le sujet, hormis quelques catalogues aux prix dissuasifs, ce qui constitue l’autre atout de Visceral Pleasure finalement peu onéreux (environ 60 euros) compte tenu de son volume.

    À voir et à visiter, le site Internet du label 4AD et ce lui de 23 Envelope :
    http://www.4ad.com
    http://www.dns.net/eyesore/html/group/twentythreeenvelope.html

  • fikey

    Membre
    24 mars 2018 à 20 h 19 min

    Juste Merci 🙂

  • Membre Inconnu

    Membre
    25 mars 2018 à 12 h 57 min

    Les premiers singles de Bauhaus…
    Les univers graphiques de Heidi Berry, Lisa Gerrard et His Name Is Alive











  • deepfunpact

    Membre
    25 mars 2018 à 13 h 10 min

    Merci pour ta présentation très, très complète d’un label unique et de l’importance qu’il a attachée à la conception des pochettes.
    Je suis bien content que tu aies constitué ce véritable dossier.
    J’ai une grosse moitié des disques présentés ici, ils m’ont tous profondément marqués ET leur pochettes se sont imprimées en moi autant que les sons qu’ils contiennent.

Page 2 sur 2

Connectez-vous pour répondre.