Répondre à: L’écriture inclusive (langage inclusif ?)

  • Membre Inconnu

    Membre
    12 juillet 2020 à 18 h 52 min

    Hello tout le monde.

    AudreySkye a parlé un moment d’écriture inclusive et j’ai trouvé ça qui me parait plus qu’intéressant, complet et important. J’avoue que c’est bien long, faut un peu s’atteler.

    Ce que je trouve important pour mieux comprendre l’enjeu, c’est la partie :

    “G. Une langue inclusive : mais pourquoi ? citation : Nous pensons qu’intégrer dès le plus jeune âge que « le masculin l’emporte sur le féminin » n’est pas complètement anodin, que le langage participe de la construction de soi et véhicule une vision du monde.”

    Ça revient sur l’historique, parle technique, etc, etc, incroyablement complet.

    PARTIE I. DE QUOI PARLE-T-ON ?

    A. Qu’est-ce que l’écriture inclusive ?

    L’« écriture inclusive » est une traduction de l’expression anglaise inclusive writing, une variante de l’inclusive language (« langue inclusive » ou « langage inclusif ») présente entre autres dans les milieux académiques de certains pays anglophones depuis au moins une dizaine d’années. L’inclusive language vise à inclure toutes les personnes pouvant ne pas se sentir représentées (en matière de sexe, d’ethnicité, de religion, etc.) par une désignation. Le gender-inclusive language, qui concerne plus particulièrement l’absence de représentation des différents genres (en l’occurrence du genre féminin) en est une spécificité. Ce qu’on appelle, depuis quelques années en France, l’« écriture inclusive » est en fait une écriture inclusive de genre, donc une écriture incluant, c’est-à-dire représentant, les différents genres.

    Sources : ceci est un copié-collé de https://www.scribbr.fr/astuces/ecriture-inclusive/

    B. Concrètement ça prend quelle forme ?

    Déjà ce n’est pas une écriture unifiée : il y a des pratiques différentes.
    Bref, ça peut prendre diverses formes. Mais principalement, ces deux là :

    1. Renoncer au masculin générique

    Ca se matérialise de plusieurs façons. Par exemple par le choix de féminiser des noms de métiers, des grades, de titres et de fonctions (ex : Nadia est cheffe de projet » ; « Marine est conservatrice de musée »). Autre exemple : ne plus dire « les Hommes » mais plutôt « les humains ».

    2. Refus de la règle grammaticale selon laquelle le masculin l’emporte systématiquement sur le féminin

    a. La syntaxe

    Le refus de la règle grammaticale selon laquelle le masculin l’emporte sur le féminin peut se traduire, syntaxiquement parlant, de façons très différentes.

    – Par exemple le Haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes dans son guide « Pour une communication publique sans stéréotype de sexe » soutient la réhabilitation de l’usage de la règle de proximité, qui consiste à accorder les mots avec le terme le plus rapproché. Par exemple : « les hommes et les femmes sont belles » ou « les femmes et les hommes sont beaux ». (cf. http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/guide_pour_une_communication_publique_sans_stereotype_de_sexe_vf_2016_11_02.compressed.pdf, p. 25). Il s’appuie ainsi sur un usage ancien (ex : en 1691, le dramaturge et poète Jean Racine écrivait : « Ces trois jours et ces trois nuits entières)

    – D’autres préfèrent la règle de majorité. Par ex : « trois femmes et un homme ont été prises à la suite de cette campagne de recrutement. »

    – Certain·e·s privilégient, quand ça ne change rien au sens, l’emploi d’une écriture épicène, c’est à dire « neutre ». Par exemple, pour les noms communs, « L’équipe enseignante » remplace « les enseignants ». Pour les propositions, il est également possible d’employer des formulations neutres. Par ex, sur des sites de musée vous lirez « Vous travailler dans l’animation et souhaitez visiter le musée avec un groupe ? » plutôt que « L’animateur est invité à découvrir le musée avec son groupe ».

    – Certain·e·s utilisent le « doublet ». Par exemple : « L’exposition a été organisée par des illustratrices et les illustrateurs ».

    – Certain·e·s choisissent d’utiliser de nouveaux pronoms, neutres en genre. Exemples : « toustes » (« tous/toutes »), « ceulles » ou « celleux » (« celles/ceux »), ou « elleux » (« elles/eux »), « iels » (« elles/ils»). Remarque : on trouve aussi « ielles » ou « illes ».

    – D’autres préfèrent mentionner dans l’ordre alphabétique les termes au féminin et au masculin (pour éviter toute préférence). Quelques exemples : « celles et ceux », « elles et ils », « les Français et les Françaises », « les étudiantes et étudiants », « les agriculteurs et agricultrices ». C’est ce que recommande par exemple l’agence Mots-Clés qui a édité un manuel d’écriture inclusive publié sur le site de l’Université Toulouse III. (https://www.univ-tlse3.fr/medias/fichier/manuel-decriture_1482308453426-pdf)

    Il y a quelques autres usages. Mais je ne vais pas en parler ici, non pas parce qu’ils ne sont pas intéressants, mais parce qu’ils sont un peu plus minoritaires dans l’usage et que j’aimerais ne pas passer ma nuit à écrire ce post qui se veut juste une présentation/définition générale.

    b. La typographie

    A l’écrit, on trouve diverses façons de rendre compte par la typographie, en un seul mot (pluriel) à la fois du genre masculin et du genre féminin. Par exemple : « musicien(ne) », « motivéEs », « étudiant/es », « arrivé.e.s », « italien-ne-s », « acteur·rice·s »,… le fameux « point médian » est donc l’une de ces options typographiques, au même titre que le tiret ou la majuscule par exemple.

    Remarquons que cette forme typographique évite à celui ou celle qui s’en sert d’avoir à choisir entre la règle de la proximité ou de la majorité. Par exemple : « trois femmes et un homme ont été pris·e·s à la suite de cette campagne de recrutement. ». Je n’en suis pas certaine, mais il me semble que pratiquement ca a été (et que c’est toujours) un avantage pour la diffusion de son usage (puisque de coup, cet usage remet moins radicalement en cause nos habitudes de langage et les règles en vigueur). Je crois que c’est seulement pour cette raison que cette façon typographique de rendre l’écrit inclusif s’est davantage répandue que d’autres façons de la faire (comme la règle de la majorité).

    (sources : https://www.univ-tlse3.fr/medias/fichier/manuel-decriture_1482308453426-pdf et http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/guide_pour_une_communication_publique_sans_stereotype_de_sexe_vf_2016_11_02.compressed.pdf et https://www.france culture.fr/emissions/le-magazine-de-la-redaction/ecriture-inclusive-un-point-ce-nest-pas-tout et https://legothequeabf.wordpress.com/2017/11/07/recommandations-pour-une-ecriture-inclusive-et-accessible/)

    C. Ca marche à l’écrit, mais à l’oral ?

    Reprenons les différentes formes que peut prendre le choix de l’inclusivité (point B).

    – Point 1) Renoncer au masculin générique (ex : choisir de féminiser les métiers, en usant par exemple du terme « autrice »), ca se fait à l’écrit comme à l’oral.

    – Point 2) De même, les éléments syntaxiques qui permettent de refuser la règle selon laquelle le masculin l’emporterait systématiquement sur le féminin au pluriel (point 2)a)) « fonctionnent » aussi bien à l’écrit qu’à l’oral. Par exemple : le choix d’accorder selon la règle de la majorité ou de la proximité se dit tout autant qu’il s’écrit.

    – En fait, en première approche, la langue inclusive parait ne poser problème pour l’oral que dans le cas du choix d’une typographie particulière (cf B. 2.b) qui n’est valable par définition que pour l’écrit.

    Quel est le rapport entre la typographie spécifique de l’écriture inclusive et l’oral ?

    En fait, l’absence d’équivalent direct de cette typographie dans la langue orale est un faux problème. Car l’écriture avec le point médian/la parenthèse/le tiret/etc. est la représentation écrite de formes orales. Par ex. dire « les étudiantes et les étudiants » peut être retranscrit tel quel à l’écrit ou être écrit de cette façon « les étudiant·e·s ». De même « les Françaises et les Français » peut devenir à l’écrit « les Français·es ». C’est une manière d’écrire économe en espace et en temps d’écriture. (Pour les matheux et malheureuses, on pourrait presque dire que c’est une façon de factoriser ^^).

    Autre exemple, plus complexe :
    Vous pouvez dire « ces deux femmes et cet homme sont intimidantes » ou «ces deux femmes et cet homme sont intimidants » (selon que vous usez de la règle de proximité ou de celle de la majorité). Et cela peut rester tel quel à l’écrit ou devenir « « ces deux femmes et cet homme sont intimidant·e·s ». En revanche, dans l’autre sens, lire « ces deux femmes et cet homme sont intimidant·e·s », vous oblige à faire un choix sur la règle à adopter (majorité, proximité, masculin l’emportant)… C’est l’une des raisons qui expliquent qu’un certain nombre de personnes acceptent l’écriture inclusive tout en en refusant de le faire avec ce type de signes typographiques (iels vont préférer l’écriture épicène, les doublets, etc.). Et ça n’en reste pas moins de l’écriture inclusive ! Donc, il faut arrêter de se focaliser sur la typographie (et en particulier sur le point médian) comme argument massue pour rejeter en bloc l’écriture inclusive : l’écriture ce n’est pas que ça et ce n’est pas nécessairement ça. (Désolée, je me calme ;).

    Conclusion

    Par ailleurs, ce qui apparaît clairement ici (du moins j’espère) c’est que plutôt que d’écriture inclusive, il serait plus juste de parler de langue (inclusive) : avec sa dimension orale et pas seulement écrite. Et c’est bien d’ailleurs de langue (plutôt que de la seule écriture) dont parle le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) dans son guide « Pour une communication publique sans stéréotype de sexe ».

    D. Le point médian

    Ceci est une parenthèse dans mon explication, ça ne devrait pas constituer un vrai débat. Mais je me sens obligée de dire un mot sur le point médian parce que bien que l’écriture inclusive ne se réduise pas à ça ni ne nécessite le point médian (cf B et C et, en particulier, dans C. lire« Autre exemple plus complexe (…) ».), ce « point » fait l’objet de grandes crispations…

    1. Pourquoi le point médian et pas un autre signe de ponctuation ?

    En fait, d’autres signes peuvent servir à féminiser (voir B. 2. b). Néanmoins l’usage le plus courant qui se dessine est davantage celui du point médian.

    Pourquoi ?

    – les parenthèses : utilisées pendant longtemps ont depuis remises en cause car elles laissent penser que le féminin peut être simplement mis entre parenthèses, et n’est donc qu’une option supprimable par rapport au masculin, le genre par défaut. Exemples : « musicien(ne) », « étudiant(e)s ».
    – le « E » majuscule : utile pour mettre en évidence la féminisation, a également été remis en cause car il ne met pas les deux genres sur le même plan ni ne peut être utilisé en lettres capitales. Exemples : « motivéEs », « enseignantE » ;
    – la barre oblique : intéressante car indique l’alternative entre les deux genres sans préférence pour l’un, mais critiquée car elle connote une division, une opposition. Exemples : « étudiant/es », « chirurgien/ne » ;
    – le point : souvent utilisé car présent sur tous les claviers, mais pouvant remis en cause pour des raisons pratiques : il peut être confondu avec le point final de la phrase. Exemples : « technicien.ne », « arrivé.e.s » ;
    – le trait d’union : intéressant dans sa forme mais critiqué car son usage est déjà fixé. Exemples : « italien-ne-s », « employé-e » ;
    – le point médian : le plus fortement répandu car il met les deux genres sur le même plan et n’a pas d’autre usage actuellement (il était autrefois employé entre les mots et a été progressivement remplacé par l’espace typographique à partir de l’Antiquité) . Exemples : « gentil·le », « acteur·rice·s ».

    Source : L’argument est classique dans les milieux militants donc ici je l’ai « copié-collé de https://www.scribbr.fr/astuces/ecriture-inclusive/. Vous trouverez exactement cette idée ailleurs (dit différemment).

    A titre personnel, j’utilise souvent le point médian, parce que (outre les raisons déjà citées en B. 2. b. et en C.) c’est un des usages les plus courants de l’écriture inclusive. Il permet donc de se comprendre facilement.

    2. Le point médian, pratiquement c’est compliqué à faire avec les claviers ?

    Pour obtenir le point médian sur son clavier, il faut utiliser les combinaisons suivantes :
    – sur Mac : « alt + maj + f » ;
    – sur Windows : « alt + 0183 (pavé numérique) » ;
    – Autre cas : vous êtes sur Windows mais vous n’avez pas de pavé numérique ou l’usage de alt + 0183 ne fonctionne pas (ça arrive). Vous pouvez vous créer un raccourcis clavier (le site de Microsoft vous explique comment). Ou installer un petit logiciel gratuit qui permet d’avoir un clavier au sein avec le point médian. Vous pouvez le télécharger sur ce site : https://www.ecriture-inclusive.fr/ dans « accéder au clavier facilitant l’écriture inclusive » (c’est pas forcément super simple à installer, mais je trouve ça pratique, c’est ce que j’utilise en ce moment même car je n’ai pas de pavé numérique : raccourci clavier alt gr+ .).

    – sur Linux : « altgr + . », « altgr + : », « altgr + maj + . », « altgr + maj + ; », « altgr + maj + 1 », « maj + * » ou « altgr + * », selon la disposition du clavier.
    Pratiquement sous Linux :
    Ouvrez un terminal et tapez la commande suivante pour connaitre la disposition de votre clavier : setxkbmap -query
    En fonction de votre disposition voici donc la combinaison de touches à utiliser :
    AltGr + ? Maj + ; ( oss / français (variante), oss_latin9 / français (variante, Latin-9 uniquement), mac / français (Macintosh), oss_nodeadkeys / français (variante, sans touche morte), oss_sundeadkeys / français (variante, touches mortes Sun))
    AltGr + ? Maj + 1 (latin9 / français (variante obsolète), latin9_nodeadkeys / français (variante obsolète, sans touche morte), latin9_sundeadkeys / français (variante obsolète, touche morte Sun))
    AltGr + : (français, français (sans touche morte), français (touches mortes Sun), belge)
    AltGr + . ( français Suisse (clavier générique 105 touches PC))
    ? Maj + AltGr + . (bepo / français (Bépo, ergonomique, façon Dvorak), bepo_latin9 / français (Bépo, ergonomique, façon Dvorak, Latin-9 uniquement))
    ? Maj + * (du pavé numérique) ( oss / français (variante), bre / français (breton), oss_nodeadkey / français (variante, sans touche morte), oss_sundeadkeys / français (variante, touches mortes Sun))
    AltGr + * (du pavé numérique) (oss_latin9 / français (variante, Latin-9 uniquement), bepo / français (Bépo, ergonomique, façon Dvorak), bepo_latin9 / français (Bépo, ergonomique, façon Dvorak, Latin-9 uniquement))
    Compose + ^ + . ou Compose + . + – (Avec une touche compose)

    Sources : https://rebellyon.info/Comment-taper-facilement-le-point-median-16767

    E. L’histoire de l’inclusivité

    On pourrait parler des noms de métier qui existaient au féminin au 15e siècle, du fait que les règles d’accord selon la proximité ou la majorité étaient très répandues jusqu’au 17e siècle, de la règle qui dit que « le masculin l’emporte sur le féminin » établie au 17e siècle mais qui en fait n’est guère répandue dans l’usage courant avant que l’instruction ne devienne obligatoire laïque et publique (soit au 19e siècle), etc.

    Mais 1, ce serait très long de revenir sur toute cette histoire, 2. (et surtout) je ne suis pas qualifiée. Si ça vous intéresse vous pouvez commencer par regarder de Françoise Vouillot pour le HCE (https://www.facebook.com/hcefh/videos/794701897371916/) ou, mieux, allez lire les ouvrages d’Eliane Viennot (pour celleux qui ne la connaissent pas elle est professeuse émérite de littérature française de la Renaissance à l’université Jean-Monnet-Saint-Étienne et, pour résumer très rapidement, elle s’intéresse à l’histoire de notre langue et à sa masculinisation progressive au cours des derniers siècles… Vous pouvez trouver une introduction, mais très partisane je vous préviens, ici https://simonae.fr/sciences-culture/litterature/peril-langue-francaise-eliane-viennot-verite-langage-inclusif-ecriture-inclusive/. Et sinon, Eliane Viennot a fait des livres, a participé a à des émissions de radios, il ya des conférences d’elle sur youtube, elle a son site, etc. donc c’est pas compliqué à trouver )

    L’important à retenir ici c’est que non la question de rendre plus ou moins inclusive la langue n’est pas récente : elle a une (longue) histoire.
    (Cette histoire n’est évidemment pas sans corrélation avec l’histoire politique et sociale de la place des femmes dans la société. Mais ça serait allé trop loin que de développer ce point pour notre propos ici, je vous invite donc à vous documenter de votre côté si ça vous rend curieux·euses).

    F. Le mot « inclusif »

    Certain·e·s évitent d’utiliser l’adjectif « inclusif » et lui préfèrent « non sexiste ». Ce qui est critiqué c’est qu’ « inclure » quelqu’un·e dans un langage, c’est se placer en tant que personne naturellement légitime, au centre de celui-ci, et placer l’autre à l’extérieur.
    Pour ma part, ici et pour rester dans les clous du sujet ouvert par Franch, je vais en rester au terme d’ « inclusif ».

    PARTIE II. L’INCLUSIF SUR LE FOND

    G. Une langue inclusive : mais pourquoi ?

    citation :
    Nous pensons qu’intégrer dès le plus jeune âge que « le masculin l’emporte sur le féminin » n’est pas complètement anodin, que le langage participe de la construction de soi et véhicule une vision du monde.

    Sources : https://legothequeabf.wordpress.com/2017/11/07/recommandations-pour-une-ecriture-inclusive-et-accessible/

    En français, il n’y a pas de genre neutre (contrairement au « das » de l’allemand ou au « it » de l’anglais par exemple). Nous n’avons donc pas de 3e genre qui nous sortirait de la binarité entre genre « féminin » et genre « masculin » : notre langue est parfaitement binaire de ce point de vue.
    Et le genre masculin est devenu le genre générique susceptible d’englober le genre féminin. Par exemples : on parle « des Hommes », on dit « les filles et les garçons sont contents » (et non contentes)… le genre féminin en est venu à disparaître derrière le genre masculin.

    Cette convention langagière a des effets pratiques, concrets dans la société. La cécité de notre société sur un certain nombre d’inégalités homme/femme ne me semble en effet pas étrangère à cet usage de la langue. Une langue qui rend les femmes invisibles marque et façonne une société où ces personnes jouent un rôle de second plan.

    Pourquoi ?

    Parce que la langue est un outil par lequel nous nous saisissons du monde et de nous-mêmes. Les mots, la syntaxe, nos possibilités et nos limites de langage façonnent notre conception du monde et donc notre rapport à celui-ci. Ainsi, quand on a des règles de langue qui invisiblent le féminin, cette invisibilisation n’est pas sans effet sur notre rapport aux autres, à nous-mêmes, et donc à la société.

    En un mot comme en cent : ce qui est invisibilisé par le langage n’existe pas socialement.

    H. Deux petits « jeux » pour percevoir les effets pratiques de notre langue sur notre représentation du monde.

    L’argument théorique est simple : ce qui est invisibilisé n’existe pas.

    Mais, quand vous lisez ça, vous vous dites sans doute que ce ne sont que des mots. Pour vous convaincre que c’est aussi très concret, je propose deux expériences à celleux qui en ont envie.

    1. Faites la devinette du chirurgien à votre entourage.

    « Un père et un fils sont en voiture. Survient un accident. Le père meurt sur le coup. Le fils, dans un état grave, est conduit à l’hôpital. Il doit être opéré en urgence. Dans la salle d’opération le chirurgien déclare « Je ne peux pas l’opérer, c’est mon fils ». Comment est-ce possible ?

    Dans le contexte de ce forum, la réponse est évidente. Je vous invite donc à la faire sur votre entourage et voir le temps qu’il lui faut pour trouver. C’est une devinette assez connue (celle-là ou ses variantes) donc les résultats seront sans doute très variables, mais je pense que vous serez quand même surpris·e dans un certain nombre de cas.

    En fait, le fait même que ça puisse être considérer comme une devinette en dit long.

    Si vous avez une petite fille ou une adolescente à la maison, il y a des chances que le temps qu’elle mette à trouver la solution vous donne un indice de la représentation qu’elle se fait de ses propres possibilités professionnelles en tant que femme…
    Qui sait, peut-être que ça donnera envie à certain·e·s de féminiser davantage les noms de métier ?

    En tout cas, je pense que cette petite expérience vous permettra de voir ce que ça signifie quand on dit que le fait d’invisibiliser le féminin au profit du masculin dans la langue a pour effet d’invisibiliser les femmes dans le monde réel.

    2. La discussion inversée

    Un peu plus complexe, mais plus parlant.
    (En tout cas, moi la devinette précédente ne m’aurait pas convaincue, ceci en revanche a changé ma vision des choses.)

    Je vous propose, si vous avez un·e interlocuteur·trice qui accepte de jouer à ce jeu là avec vous, d’avoir une discussion ou vous inversez systématiquement les règles grammaticales de telle sorte que le féminin l’emporte sur le masculin. Je répète systématiquement. Ex : « Elles » pour désigner un groupe composé d’au moins un hommes et une femme, « les institutrices »/ « les conductrices » pour désigner un groupe, « les Femmes » pour désigner un groupe d’hommes et de femmes, mais aussi, tout aussi bien un groupe composé uniquement d’hommes, etc . Ca vous semble facile, et bien essayez. Outre que vous risquez d’y perdre votre latin, si vous avez l’idée que les mots que vous employez n’affectent pas votre rapport au monde, vous pourriez changer d’avis.
    En tout cas, moi c’est ce qui m’est arrivé. Je vous partage ici mon expérience.

    Ma petite expérience des effets du langage sur ma conception du monde

    Un jour où j’écoutais une émission de radio, j’ai entendu une personne narrer une petite scénette : il s’agissait de la discussion de 4 personnages (deux couples hétéros) lors d’une soirée entre ami·e·s. L’histoire était très simple mais elle était racontée selon d’autres règles de langage que celles qui valent habituellement : le féminin l’emportait sur le masculin (ce sont les règles du 2e jeu que je vous ai proposé). Qui plus est, il y avait une inversion des stéréotypes de genre (par ex. les femmes discutaient entre elles de foot et de politique, tandis que les hommes parlaient shopping et régimes). Eh bien, au bout de quelques minutes, à mon grand désarroi, je ne comprenais plus rien. Il n’y avait que 4 personnages, et la conversation était simple, pourtant j’étais incapable de savoir qui disait quoi, qui était qui. J’étais complètement perdue dans l’histoire…

    Ca m’a ébranlée. Je me suis rendue compte que les mots qui pour moi n’étaient jusque-là que des conventions arbitraires, de peu d’effets en eux-mêmes, en réalité affectaient ma conception du monde. Que les formes affectent le sens si vous préférez.

    Avec le recul je me dis que cela vient du fait que notre langue induit une ambigüité fondamentale dans certains signes. Un même signe (par ex. le mot « ils ») peut en effet vouloir dire de choses différentes (« un groupe d’hommes » ou « un groupe d’homme(s) et de femmes(s) »). Le problème c’est qu’on fait comme si cette ambigüité du langage n’existait pas, et donc qu’elle ne créait pas d’incertitudes ou d’erreurs (cet aveuglement apparaît parfaitement dans la devinette du chirurgien : on croit qu’on sait qu’un chirurgien peut être un homme ou une femme et, pourtant… on cherche pourquoi cette déclaration à la fin). En fait, ces erreurs, ces incertitudes, etc., se produisent sans arrêt car ces signes ambigus (« ils », « eux », « Hommes », « ceux », etc.) sont des mots qu’on emploie tou·te·s et tout le temps. Et donc sans y penser.

    Voilà, si vous me demandez pourquoi je pense qu’il faut pratiquer la parole et l’écriture inclusive, je vous répondrai ça : parce que ça recrée du sens, de la justesse de pensée, dans notre conception inconsciente du monde qui, façonnée par les règles actuelles de la langue, est actuellement floue, aveugle à une partie importante de ce qui pourtant existe. Bref, que ça éviter les erreurs. Alors oui, c’est un effort quotidien, constant, c’est fatiguant non seulement de changer ses habitudes, mais aussi de désambigüiser sans arrêt (parce que c’est un effort pour penser de ce qui est habituellement impensé justement). Mais ça a du sens de le faire.

    I. L’écriture non genrée : visibiliser les femmes mais pas que…

    Certaines personnes agenres (c’est-à-dire ne se définissant ni comme des hommes, ni comme des femmes) et certaines personnes trans ne souhaitent pas être désigné·es par un pronom genré («il» ou «elle»), ces personnes demandent à ce qu’on ait recours à d’autres formes de langage (par exemple, à la contraction du pronom masculin et du pronom féminin, comme dans « iel »).

    Les agenres et trans qui revendiquent ce type de langage que nous appelons ici « inclusif » pour simplifier (notons que ca ne les concerne pas tou·te·s) ont beau être largement minoritaires, cela ne signifie pas que leur droit d’être visibles est moins important. Que notre langue permette de décrire toute personne de façon correcte et respectueuse ne semble pas exactement une absurdité.

    Remarque : il s’agit ici d’une vision large de l’inclusivité (iels préfèrent d’ailleurs souvent le terme d’«écriture non genrée »). Toutefois je voulais la mentionner parce qu’elle est aussi importante. Si cette question vous intéresse, je vous invite à lire ça : https://simonae.fr/sciences-culture/litterature/nommer-exister-alpheratz-troisieme-genre/

    J. L’inclusivité, est-ce une question accessoire ?

    C’est un argument qu’utilisent souvent celleux qui sont contre.

    1. Pourquoi je crois que c’est essentiel

    Une langue se transforme au gré des idées et des pensées qui la traversent. Par conséquent, la langue a une dimension politique. On le voit bien dans le cas qui nous intéresse ici lorsqu’on regarde la façon dont la langue française a été infléchie délibérément vers le masculin durant plusieurs siècles par des groupes qui s’opposaient à l’égalité des sexes (sur ce point je vous renvoie au guide du Haut conseil à l’égalité « Pour une communication publique sans stéréotype de sexe » et, surtout, pour aller plus loin, à Eliane Viennot). Autrement dit, tant que notre langue véhicule une conception du monde où ce qui n’est pas le masculin est invisibilisé, et donc tant que notre univers symbolique, notre culture, se construisent là-dessus, il n’y a aucune raison que les inégalités disparaissent dans la société.

    Bien entendu, changer la langue ne résout pas tous les problèmes d’inégalité, d’invisibilité, etc. Cependant croire qu’on peut changer de paradigme social de ce point de vue sans changer le système de représentations qui le génère (et que cet état de la société continue d’alimenter en retour) me semble illusoire. La transformation de la langue (et donc de notre système de représentation) est nécessaire pour parvenir à une société vraiment égalitaire .
    Je précise : égalitaire pour les hommes et les femmes, mais pas que (cf. I).

    Donc, de mon point, ce n’est clairement pas une question accessoire, mais essentielle. Même si ce n’est pas non plus la seule transformation à initier pour parvenir à cette égalité.

    2. Et même si c’était une question accessoire…

    Même si on admettait que c’est une pratique plus secondaire pour parvenir à l’égalité (ce qui n’est clairement pas mon avis), je ne vois pas en quoi ce serait un argument contre l’écriture inclusive. Il faudrait qu’on m’explique en quoi utiliser cette écriture pourrait empêcher son utilisateur·trice de participer à d’autres formes de combat, qui seraient jugées plus importantes, pour supprimer ces inégalités et injustices. (En fait, d’expérience, c’est plutôt le contraire : ce sont les personnes qui pratiquent cette écriture qui participent souvent aussi à d’autres formes de lutte sociale, mais passons…).

    PARTIE III. L’INCLUSIF EN PRATIQUE : CONCRETEMENT CA POSE QUELS PROBLEMES ?

    Ce qui suit n’est pas une liste exhaustive.

    K. L’écriture inclusive c’est illisible ?

    Ca dépend ce qu’on entend par là. Dire que c’est illisible ou désagréable à lire, ça peut vouloir dire deux choses : que cette écriture est laide ou que cette écriture ralentit (fortement) la lecture. Ce qui n’est pas pareil.

    Avant de détailler, je remarque que souvent les personnes qui trouvent cette écriture « illisible » en fait parlent seulement de l’écriture typographie (cf B.2.b) et notamment du point médian (ce à quoi l’écriture inclusive ne se réduit pas comme on l’a vu). Mais bien sûr, ce n’est pas uniquement le cas. Il y a aussi des gens qui jugent ça illisible en raison de la féminisation des noms de métier ou de l’apparition de pronoms comme « iels ». Donc, j’englobe ici tous ces cas.

    1. L’écriture inclusive est laide

    La phrase « Je trouve que l’écriture inclusive est parfaitement inélégante (ou moche ou horrible) » n’est pas un argument, c’est une opinion. Cette phrase reflète un sentiment (de laideur en l’occurrence) et pas un fait objectif. Comprenons nous bien : je ne dis pas que les sentiments, les opinions sont sans intérêt, je dis juste qu’on ne peut pas construire un débat là-dessus. Pourquoi ? Parce qu’un sentiment est toujours vrai pour celui qui le ressent.

    Si, à côté de cette personne qui trouve sincèrement cette écriture laide, une autre déclare « je trouve que l’écriture inclusive est d’une inédite beauté syntaxique (ou typographique) » : c’est aussi une opinion. Le sentiment est opposé. Pour autant, ce sentiment est tout aussi vrai que celui de la première personne. On se retrouve donc avec deux personnes qui disent des choses contradictoires et qui sont pourtant toutes les deux parfaitement véraces. Il ne peut pas y’avoir de débat là. Les deux personnes ont « raison » : iels affirment ce qu’iels ressentent. En revanche, ce type de phrase ne permet pas de construire un raisonnement, et donc ne permet pas un débat argumenté. On se retrouve juste dans l’impasse des oppositions entre « moi j’aime »/ « moi pas » et, au final, en général, dans ce genre de cas, c’est le plus fort (c’est-à-dire celui qui a le plus de pouvoir) qui gagne. Mais, en fait, ça ne fait pas avancer le raisonnement.

    Comprenons-nous bien, je respecte les gens qui donnent leur opinion, qui témoignent de leur sentiment, et je crois à l’importance de pouvoir s’affirmer ainsi. Alors, si ça a du sens à vos yeux, faites-le ! Et je n’ai rien à répondre ça (ni à celleux qui trouvent ça laid, ni à celleux qui trouvent ça beau).

    C’est aussi parce qu’en fait, d’un point de vue logique, il n’y a tout simplement rien à répondre à ça : ce type d’affirmation ne relève pas du plan argumentatif. Bref, ce n’est pas, à proprement parler, de l’ordre du débat.

    2. L’écriture inclusive ralentit la lecture.

    L’argument qu’il y a derrière cette phrase c’est que l’écriture inclusive rend plus longs les mots et les phrases, qu’elle nous soumet à des formes inhabituelles de l’écrit, bref elle nous complexifie la tâche et donc nous ralentit.

    Déjà, on peut se demander si le but de la lecture est d’aller vite.

    Ensuite, sur le fond : ce n’est pas faux, l’écriture inclusive (mais aussi la parole inclusive) peut clairement vous ralentir.

    Mais c’est un ralentissement qu’il faudrait beaucoup relativiser. Je m’explique :

    a) tout d’abord je mets de côté ici l’apprentissage de la lecture en général qui, lui, peut être vraiment impacté. (J’y reviens plus bas, en L., en en faisant un point à part parce que c’est une vraie question).

    b) Ici je me concentre donc sur les lecteurs·trices qui ne sont plus au stade de l’apprentissage mais qui lisent sans difficulté, c’est-à-dire ce qu’on appelle les lecteurs·trices compétent·te·s. Et qui découvrent donc, sur le tard, l’écriture inclusive (en gros ça concerne tout le monde ici je pense).

    Lorsqu’un·e tel·le lecteur·ice commence à lire en inclusif il va au départ être nettement ralentit par l’usage de nouveaux mots (ex. « iels », « autrice », etc.), voire d’une typographie dédiée à l’inclusivité quand elle est présente. Mais, une fois l’habitude prise, cela ne sera plus une cause de ralentissement. Si vous vous demandez pourquoi j’affirme cela, je vous invite à vous intéresser aux différentes voies de lecture et notamment à la voie directe ou procédure par adressage ou voie lexicale : l’effet de cette procédure lexicale à l’oeuvre dans la lecture c’est que les mots fréquents sont mieux lus, et plus rapidement, que les mots plus rares (leur « adresse » étant plus facilement accessible, parce que plus souvent sollicitée). Pour le dire plus simplement, c’est une histoire de familiarité : si vous vous retrouvez à lire régulièrement des textes en écriture inclusive, vous allez mémoriser les nouveaux mots (féminisation des noms de métiers, « iels », etc.), mais aussi la syntaxe, la typo et, une fois cela fait, vous ne trouverez plus de gêne à ces lectures. Ca vous paraîtra normal. Je dirais même que, selon toute probabilité, si cette écriture devient un jour la norme, qu’elle est courante, ce sera alors l’absence d’inclusivité que vous jugerez comme perturbante et gênante pour la lecture (là encore, en raison de la voie lexicale à l’oeuvre dans la lecture).

    Je vous dis ça aussi d’expérience, comme tout celleux qui ont appris le français selon les règles, j’ai commencé par « galérer » un peu lorsque je lisais mes premiers textes en inclusif… aujourd’hui ça ne me ralentit, ni ne me gêne plus. (Il n y’ a pas de miracle, c’est tout simplement parce que j’y suis habituée).

    La seule chose qui peut encore ralentir ma lecture aujourd’hui c’est la présence de doublet (ex : « les dessinateurs et les dessinatrices de cette école ») qui allongent (et donc ralentissent) l’écrit, comme l’oral. Mais ça reste un ralentissement plutôt minime, j’imagine que vous en conviendrez.

    L. Ca entrave l’apprentissage du français ?

    1. Le cas de l’élève lambda

    Comme je l’ai dit, quand on parle d’inclusivité on parle de langue. C’est-à-dire d’oral et d’écrit (cf C.). Or, il est plus facile d’apprendre ce qu’on entend tous les jours. (Par exemple au lieu de demander « quels sont ceux qui ont fini leur travail ? », un·e professeur·e des écoles peut dire « celles et ceux »). Si on habitue les enfants à une parole inclusive, iels l’utiliseront aussi et apprendre à écrire en inclusif ne présentera pas de difficultés spécifiques pour elleux.

    En fait, ce qui rendrait difficile l’apprentissage de cette écriture en inclusif ce n’est pas l’inclusif en général, mais le choix d’utiliser une typographie particulière à cette fin (comme le fameux point médian, entre autres – cf. B. 2. b). Mais comme on l’a dit : on peut avoir une écriture inclusive sans cette typographie (même si évidemment ça implique d’autres choix…).

    Cependant, si on veut utiliser cette typographie, alors oui ça va compliquer l’apprentissage des enfants. Toutefois, dans des proportions qui semblent raisonnables. Ajouter un «·e » quand le sujet comporte des hommes et des femmes semble à la portée d’un·e élève lambda. Féminiser ainsi un texte est loin d’être aussi compliqué qu’accorder des participes passés en fonction de l’auxiliaire par exemple, ce que pourtant les élèves du primaire apprennent tou·te·s… Quant à la difficulté de la lecture, elle existe, c’est certain. Toutefois, je remarque que, personnellement, je n’ai pas appris l’addition, la division, la soustraction et la multiplication la même année. Pourtant je me sers très bien et régulièrement des quatre opérations : ce que je veux dire c’est qu’on n’est pas obligé·e·s de tout apprendre en même temps et quand même avoir l’usage de tout au final.

    Alors oui, l’inclusif, va rendre l’apprentissage de la lecture/écriture plus compliqué. Mais pas incroyablement plus compliqué. Il ne faut pas exagérer.

    En fait, j’ai l’impression que l’argument qui dit « trop difficile à apprendre pour les enfants » semble plutôt signifier « ce n’est pas le genre d’apprentissage que je souhaite que mon enfant ait à gérer parce que j’estime que cet élément n’est pas assez important pour qu’il fasse cet effort ». Bref, ce qu’il y a derrière, c’est peut-être moins la difficulté de l’élève que l’importance idéologique qu’on accorde à cette écriture. Pour le dire autrement, au fond, je crois que ce qui se joue là c’est de savoir quel est l’intérêt pour l’élève de faire l’effort de surmonter cette difficulté. Et est-ce que le jeu en vaut la chandelle ?
    Je reviens là-dessus en 3.

    2. Cette écriture est discriminante pour les dyslexiques ?

    La meilleure réponse est pour moi ici : https://legothequeabf.wordpress.com/2017/11/07/recommandations-pour-une-ecriture-inclusive-et-accessible/

    Je souligne, que c’est vrai, c’est plus difficile pour les dyslexiques.

    Mais qu’il faut plus généralement avoir conscience d’une chose : l’écriture tout court est discriminante pour les dyslexiques.

    Donc oui, ça rend l’apprentissage de l’écriture/la lecture des dyslexiques nettement plus difficile.
    Plus difficile mais pas impossible.
    Il y a des outils : là encore, commencer par féminiser l’usage inclusif à l’oral semble pouvoir grandement faciliter sa transcription à l’écrit. Et là encore l’usage typographique (par ex. du point médian) n’est pas la seule façon de féminiser : on peut privilégier les autres formes (comme le doublet). Si on souhaite tout de même utiliser les signes typographiques : de ce qu’on en sait, ce type d’écriture inclusive n’est pas impossible pour les dyslexiques, mais (comme pour le reste de l’écriture) des outils adaptés (par exemple une police de couleur ou du gras pour les terminaisons des mots) sembleraient faciliter leur lecture.

    Pour ma part, je reviens à mon point précédent, comme pour tout élève : au fond, ce qui se joue là c’est à mon sens de savoir à quel est l’intérêt pour l’élève de faire l’effort de surmonter cette difficulté. Et est-ce que le jeu en vaut la chandelle ?

    3. Quel est l’objectif pédagogique pour les élèves ?

    Pour celleux qui jugent que les effets de cette écriture sont importants pour leur enfant, je crois que la difficulté sera considérée comme acceptable (et s’il faut faire des sacrifices de simplification de la langue, ces personnes-là choisiront de les faire ailleurs). Tandis que pour celleux pour qui les effets de cette écriture sont négligeables (ou même néfastes) : il est clair que la difficulté sera jugée monstrueuse (et ce, très logiquement, puisqu’à leurs yeux l’effort fait pour la surmonter n’est récompensé par rien).

    Bref pour l’élève lambda, comme pour l’élève dyslexique, le problème n’est peut-être pas tant celui de la difficulté de l’apprentissage, que celui de savoir si, au regard du gain, l’effort fait pour surmonter cette difficulté en vaut la peine ?

    Alors, que vont tirer les enfants de cet apprentissage de l’inclusif ?

    Et bien, en dehors d’être nos enfants, d’être des élèves, d’être dyslexiques ou non, ces individus pour une bonne partie sont de genre féminin et tout·e·s seront demain des citoyen·ne·s. Du coup, si le langage (et donc l’univers symbolique) dans lequel iels sont élevé·e·s invisibilise moins les femmes, si cette langue leur donne une autre perception de soi et du groupe avec lequel iels évoluent, alors on est en droit d’espérer que la société qu’iels formeront demain sera plus égalitaire et qu’elle donnera plus de place aux femmes. Si on pense ainsi, peut-être que pour un·e élève, dyslexique ou non, l’effort en vaut la chandelle…

    J’ajoute que ces considérations qui touchent à l’égalité hommes/femmes, sont également vraies pour une partie des personnes agenres et trans (voir point I).

    Voilà.

    Après, c’est un peu hors sujet ici, mais si vous avez envie de parler de parler d’écriture inclusive avec vos enfants, je vous conseille ce petit docu (moins de 2 minutes), ça peut être une bonne base de conversation s’iels ont des questions :« C’est quoi l’écriture inclusive ? – 1 jour, 1 question »
    voir la vidéo

    M. Et qu’en est-il de la lecture de cette écriture pour les personnes en situation de handicap (hors dyslexiques donc) ?

    On pense notamment aux personnes ayant des problèmes de vue et qui utilisent la vocalisation par des lecteurs d’écran lorsqu’iels sont devant leur ordinateur. Comme pour les précédents cas, le problème pour iels apparaît quand il y a une typographie particulière. Et, si on veut utiliser cette forme là d’inclusivité, c’est un vrai problème. Dans ce cas, tout comme pour les dyslexiques, il n’y a pas (ou pas encore ?) de réponse parfaite. Néanmoins quelques outils qui s’améliorent peu à peu. Si ça vous intéresse, je vous invite à lire ça : https://www.lelutinduweb.fr/ecriture-inclusive-accessibilite-solutions/ et ça https://legothequeabf.wordpress.com/2017/11/07/recommandations-pour-une-ecriture-inclusive-et-accessible/)

    N. L’inclusif, est-ce un débat actuel ?

    Oui et non. Comme je l’ai dit plus haut (voir E), la plus ou moins grande inclusivité de la langue est en fait débattue depuis au moins trois siècles (même si on n’a pas toujours appelé ça comme ça). Là encore je vous renvoie vers les travaux d’Eliane Viennot.

    Mais pour l’histoire récente puisque c’est ça, voilà quelques faits :

    – L’écriture inclusive est défendue depuis 2015 par le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Rappel son guide « Pour une communication publique sans stéréotype de sexe » nouvelle édition en 2016 est là : http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/guide_pour_une_communication_publique_sans_stereotype_de_sexe_vf_2016_11_02.compressed.pdf).

    – En mars 2017, les éditions Hatier ont publié un manuel scolaire pour les classes de CE2 en employant cette nouvelle forme d’écriture (ex. « grâce aux agriculteur.rice.s, aux artisan.e.s et aux commerçant.e.s, la Gaule était un pays riche »). Ca leur a valu un revers de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale, qui s’est dit contre. Mais son Ministère a depuis signé la convention du Haut conseil à l’égalité : « pour une communication publique sans stéréotype de sexe »…

    – En octobre 2017, le logiciel Word de Microsoft, publie une mise à jour (réservée aux abonnés Office) qui comprend dans ses paramètres de grammaire et de style une option de « langage inclusif ». Selon le site de Microsoft, cette fonctionnalité «cible le langage genré à même d’exclure, de rejeter ou de stéréotyper» et propose des alternatives.

    – En 2018 : il y a eu pas mal de publications sur la question. Je signale en particulier (et c’est tout à fait subjectif comme choix) : « Le langage inclusif : pourquoi, comment ?» (Éliane Viennot, éditions ixe : https://www.editions-ixe.fr/catalogue/le-langage-inclusif-pourquoi-comment/) et « Grammaire du français inclusif » (Alpheratz, Vent Solars : https://www.alpheratz.fr/linguistique).

    – En février 2019 : l’Académie française adopte un nouveau rapport sur la féminisation des noms de métiers et de fonctions. Cf http://www.academie-francaise.fr/actualites/la-feminisation-des-noms-de-metiers-et-de-fonctions. C’est une petite avancée pour la langue, mais vu le conservatisme de cette institution sur cette question, le fait qu’elle ait publié un nouveau rapport sur la question, un peu plus souple, qui autorise « autrice » par exemple, n’est pas anodin.

    – En septembre 2019, un nombre important de collectivités et institutions ont signé la convention « pour une communication publique sans stéréotype de sexe » du HCE : http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/stereotypes-et-roles-sociaux/actualites/article/liste-des-signataires-de-la-convention-d-engagement-pour-une-communication

    – Un exemple pour 2020 : OpenEdition, qui est une plateforme de ressources électroniques en sciences humaines et sociales mise en place conjointement par le CNRS, deux universités et l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), publie depuis quelques mois ses lettres d’informations en inclusif (ex la dernière lettre, celle d’avril : https://journals.openedition.org/12184?file=1 // si vous comparez avec la lettre d’avril 2019, vous verrez qu’alors ils/elles n’étaient pas encore passé·e·s à l’inclusif : https://journals.openedition.org/11441?file=1 )

    Enfin si vous saisissez « écriture inclusive » (ou « langue inclusive », ou « non genrée », etc.) dans votre moteur de recherche vous verrez qu’un grand nombre des liens qui s’affichent sont des articles ou vidéos polémiques sur la question (pour ou contre) qui datent des trois dernières années.

    Tout ceci a l’air de montrer que, après trois siècles de tripatouillage de la langue, le débat est (« encore » ou « toujours » comme vous voulez) d’actualité.