L’intelligence rend-elle rétif à l’autorité ?

  • Membre Inconnu

    Membre
    17 mai 2021 à 18 h 31 min

    Aaaaaahhhhhh
    Nan !!! Ce n’est pas possible de pondre un article pareil !!!

    Jamais Anaxagore n’a écrit que l’intelligence était soumise au Noûs ! C’est une interprétation totalement biaisée, en ce sens où la notion de soumission implique une domination, un rapport de force, ce qui n’est pas le cas dans la philosophie du pré-socratique :

    « L’Intellect est illimité, maître absolu, et n’est mélangé à aucune chose, car il existe seul et par lui-même […] En effet, il est de toutes les choses la plus subtile et la plus pure ; il possède la totale connaissance de toutes choses, et il a une très grande puissance. Toutes les choses qui ont une âme, qu’elles soient grandes ou petites, sont toutes sous l’empire de l’Intellect. C’est l’Intellect qui a exercé son empire sur la révolution universelle, de telle sorte que c’est lui qui a donné le branle à cette révolution. Le point de départ de la révolution fut petit ; ensuite celle-ci s’accroît et elle s’accroîtra toujours davantage ; et l’Intellect a connu toutes les choses, aussi bien celles qui sont mélangées ensemble, que celles qui sont discriminées et séparées ; et ce qui devait exister aussi bien que ce qui existait, et tout ce qui n’existe pas maintenant aussi bien que tout ce qui existe maintenant et ce qui existera, tout cela fut ordonné par l’Intellect, et aussi cette révolution que suivent à présent les astres, le Soleil et la Lune, et l’air et l’éther qui résultent de la discrimination […] Nulle chose n’existe d’une manière discriminée ou totalement séparée d’une autre chose, excepté l’Intellect. L’Intellect est tout entier semblable à lui-même, il est à la fois grand et petit. »

    — Anaxagore, fragment XII (trad. Jean-Paul Dumont)

    La tyranie décrète que telle chose est vraie, juste parce qu’elle l’a décidé ainsi ! Cela n’a rien à voir avec le logos ou la raison, qui elle passe par la démonstration, et cherche à établir des vérités universelles. C’est-à-dire qui seront justes pour tout le monde. Par csq, un pouvoir politique qui s’éloigne de la raison, s’oriente de facto vers l’idiotie et la tyrannie. Et c’est le propre de bcp de politiques actuelles ! Cela se vérifie de manière très empirique. Une pensée de merde (cause) a des effets de merde (conséquences). Le rôle du politikos est la gestion de la cité : donc s’il y a des problèmes sociaux, alors il y a un problème du politikos. L’intelligence et la raison sont antinomiques avec l’absurdité d’un pouvoir. Elle mène généralement à l’esprit critique et à la contestation. Je trouve ça éthiquement lamentable de présenter la compromission et la soumission comme compatible avec la notion d’intelligence, sauf si le but non avoué de l’article est de manipuler l’opinion publique. Il y aurait peut-être même deux ou trois trucs à revoir sur la Grèce antique, car la démocratie est justement née pour tenter de rétablir l’équilibre entre les plus fortunés (qui imposaient leurs décisions) et les plus pauvres. Lisez l’essai de Jean-Pierre Vernant (historien), “Les Origines de la pensée grecque” (1962).

    Donc la question de l’article “Mais cette soumission à une raison impartiale n’est-elle pas un mythe ?” est un non-sens, car la raison n’a rien à voir avec une autorité. Et lorsqu’une autorité impose sa volonté sous couvert de “raison”, c’est juste de la rhétorique, de la manipulation, avec souvent une pensée dualiste (platonicienne), qui n’a rien à voir avec Anaxagore. Je vais prendre un exemple très simple et qui est légion dans nos médias : face à l’injustice, il est NORMAL d’avoir les glandes. C’est humain et c’est RATIONNEL. C’est ni plus ni moins le principe de causalité. Quelqu’un vous agresse (cause), vous réagissez en conséquence. Donc si des patrons qui ont touché des aides de l’Etat, décident de délocaliser quand même, en se foutant de l’avenir des salariées et de leur famille, c’est NORMAL d’avoir un peu les boules. Et cela conduit généralement à des grêves, des manifs, parfois violentes. Ce qui est NORMAL. C’est une violence qui répond à une autre forme de violence, car se retrouver sans emploi, se faire déclasser socialement, c’est brutal. Et là, il y a toujours les journaleux qui donnent des leçons de morale, qui appellent à un “retour à la raison”, comme si la colère était “irrationnelle”. Il y a une opposition soudaine entre les passions et la raison, comme si c’était des curés ! Comme au Moyen Âge ! On demandait aux paysans un retour à la raison, qui est ni plus ni moins la raison du plus fort, c’est une façon de dire de fermer sa gueule, sinon tu prendras cher.

    Voilà pourquoi en philosophie ON FAIT DES ANALYSES CONCEPTUELLES POUR FIXER LE SENS DES MOTS QU’ON EMPLOIE. Car le mot “raison” dans une expression ou tel qu’il est utilisé dans le langage courant, selon tel ou tel contexte, ça n’a rien à voir avec le concept de logos des Anciens, rien à voir avec la définition de tel ou tel auteur, et l’on finit par lui faire dire ce qu’on veut, un peu comme ça nous arrange. Donc, l’idée de présenter l’intelligence comme une faculté d’adaptation, c’est génial dis donc ! Un pauvre est dans la merde, et on lui dit que s’il s’adapte à sa situation sans broncher, ça veut dire qu’il est intelligent ! Youhou ! NON. Il nous fait quoi là, du darwinisme social ? Les implications politiques de cet article sont dégueulasses, et quand on fait de la philo, ça ne devrait pas échapper. Et surtout, quand on est justement intelligent, ça ne devrait pas passer !

  • kimanh

    Membre
    17 mai 2021 à 22 h 17 min

    COGITO ERGO SUM pourrait être la devise du surdoué qui doute de tout et aime à chercher par lui-même les réponses aux questions. Il peut ainsi passer pour un marginal peu enclin à aimer l’autorité. Mais je crois qu’il faut faire une distinction entre le LOGOS, la recherche de la pensée juste notamment en sciences où la quête de la vérité est fondamentale, et le raisonnement calculateur plus répandu et servant des intérêts personnels comme la recherche du pouvoir. Être intelligent ou malin en quelque sorte…

  • Membre Inconnu

    Membre
    18 mai 2021 à 16 h 13 min

    En relisant mon dernier message, je m’aperçois que j’étais en mode rageux ahah

    Ma patience vis-à-vis de la connerie et la manipulation s’est réduite comme peau de chagrin. Surtout quand il s’agit des anciens penseurs que j’ai étudiés et que j’admire énormément. Quoi qu’il en soit, ça me fait bizarre de voir quelqu’un parler du Logos, tellement c’est rare. Donc bienvenue au club @kimanh et merci pour ton message !!! 😉

    Le point que tu soulèves m’a longtemps fait cogiter. Car dans l’esprit d’un Sage de l’Antiquité, ce qui va dans le sens du Logos, va dans le sens de l’Harmonie, de la Nature (Phusis ou Cosmos chez les pythagoriciens), c’est cela qui a permis aux démocraties d’exister, en se disant que grâce aux discours, nous pourrions nous entendre et oeuvrer pour l’intérêt de tous. Cela paraît naïf aujourd’hui, mais les bonhommes avaient une mentalité qu’on ne trouve plus bcp à notre époque.

    Quoi qu’il en soit, c’est ma manière de raisonner et de comprendre le monde qui m’entoure. Un peu comme si l’Univers était une symphonie, avec des harmoniques, des résonances, des réseaux entre les mondes et les êtres ; ses Lois étant là pour maintenir l’équilibre. Or fait est qu’il y a un paradoxe lié à la nature humaine (ça ne concerne pas tout le monde, mais une majorité), et qui a été observé par les Anciens. Ils l’appelaient l’acrasie. C’est le fait d’agir à l’encontre de son meilleur jugement. On sait que la bonne direction est là, et pourtant on préfère foncer dans le mur.

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Acrasie

    La raison a permis la naissance de la technologie, qui nous a apporté plus de libertés et de confots. Mais c’est aussi ce qui a permis des guerres de plus en plus meurtrières. Comment expliquer ce paradoxe ? Peut-on dire que la connaissance est nécessairement bénéfique (ce que je pense pourtant) ? Je pense avoir résolu ce dilemme grâce aux philosophies orientales, avec leurs notions de Yin et de Yang. Il y a d’un côté notre sensibilité, nos sens, nos émotions ; c’est la partie de nous qui reçoit les données qui proviennent du réel. Nous sommes en mode passifs. Puis il y a d’un autre côté l’analyse des données, qui implique le concours de la raison, etc. Et là nous sommes en mode actif, c’est l’étape préliminaire avant l’action.

    Et fait est que lorsque l’on se prend la tête sur des trucs théoriques, on est obligé d’être seul, de se couper un peu des autres. On a la tête dans le guidon. Et cela rompt l’équilibre avec l’autre facette, où il nous faut nous reconnecter. Le piège si on ne le fait pas, c’est de se retrouver avec un gros égo, un gros melon, avec une très haute estime de soi ^^ Et vice-versa, si l’on reste trop dans les émotions, trop dans la passivité, on peinera à s’exprimer, et ça conduit généralement vers de la dépression. Et je me suis rendu compte que cette grille de lecture collait très bien à l’échelle des civilisations. Une civilisation peut ainsi être très développée technologiquement, et pourtant être fermée sur elle-même, avec une haute estime d’elle-même, pour ensuite aller écraser les autres.

    Et pourtant l’idée d’équilibre est bien un principe de la raison, il n’y a pas vraiment de contradictions. C’est juste qu’il y a plusieurs degrés de lecture et de compréhension. Le Logos ne se limite pas au calcul et à la partie “masculine”. Sinon ça fait généralement de nous des tyrans. C’est pour cela qu’il y a aussi la notion de “sophia”, qui elle prend en compte les deux aspects. Bon, tous ces concepts avaient aussi une polysémie extrêmement riche, qui témoignent un peu de la psychologie d’antan. C’est passionnant. Comme j’aime à le dire, nous sommes tous des étrangers amnésiques 😉

  • kimanh

    Membre
    18 mai 2021 à 22 h 28 min

    Merci @argon de ton accueil à la néophyte que je suis, au plaisir d’échanger et d’apprendre!

    Je crois aussi à l’harmonie de l’univers se fondant sur l’équilibre et l’alternance du yin et du yang d’où naissent tous les phénomènes de la nature, régis par un principe suprême que les chinois appellent le Tao. Un flux binaire, comme une respiration ou un battement de coeur, un Big Crunch éternel.

    Ce que j’aime dans le Taoïsme c’est que l’Homme n’est pas coupable de ses erreurs, l’ignorance est à l’origine de son mal-être d’où l’importance de l’éducation et du savoir face à l’Acrasie.

    Comment une civilisation qui offre une compréhension si profonde de l’Univers a pu se refermer sur elle-même et provoquer la perte de savoirs millénaires? Considérant toutes les autres civilisations comme barbares, je pense surtout qu’ils avaient “le melon”!!! 🤣

  • Membre Inconnu

    Membre
    18 mai 2021 à 22 h 44 min
  • Membre Inconnu

    Membre
    19 mai 2021 à 1 h 35 min

    @kimanh Tu connais le taoïsme ^^

    Pour les principes du Yin et du Yang, ce sont de très anciens enseignements. On appelle ça la Loi du Genre, qui est lié à la symétrie. C’est un principe universel. Peut-être que d’autres appellent ça autrement.

    Pour le Tao, j’emploie un autre mot, mais c’est bien la même idée derrière. En fait, à un certain level, on s’aperçoit que le monde est très petit. Ah ^^ Pour le melon des civs, je pensais plus aux nationalismes pour notre époque.

    Quant à l’ignorance, je te rejoins. Mais si l’erreur est excusable, le fait de la répéter l’est bcp moins. D’où l’intérêt de retrouver la mémoire… A une certaine échelle, j’arrive à comprendre certains déclins…

    Si demain il y avait un cataclysme, plus de courant, plus de technologie, on finirait très vite par se retrouver à vivre comme au XIXe. Ajoute à cela la préoccupation première qui sera de survivre, on oubliera très vite nos acquis.

    Quelques générations plus tard, nos vieilles mémoires deviendront des légendes, qui se déformeront peu à peu, puis il y aura des sceptiques qui n’y croiront pas, car tout ça sera trop éloigné de leur quotidien…

    Mais j’avoue aussi ne pas tout comprendre, j’espère que j’y verrai un jour un peu plus clair 😅

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