Le narcissisme et le mythe de Narcisse

  • Le narcissisme et le mythe de Narcisse

    Publié par isbale le 17 février 2020 à 16 h 15 min

    Bonjour à toutes et tous ^^

    Dans notre société, il est courant d’utiliser le terme narcissique pour qualifier quelqu’un d’égoïste. En effet, le narcissisme est défini comme un “amour excessif porté à l’image de soi” (Larousse). On y associe des synonymes tels qu’autolâtrie, culture du moi et égocentrisme.

    Mais qu’est-ce que le mythe de Narcisse exactement ?

    Il se trouve que l’interprétation contemporaine du mythe est erronée et c’est à travers un livre qui m’a énormément plu que je l’ai découvert. Intitulé “Narcisse n’est pas égoïste” (il ne m’a pas fallu plus que ce titre pour être attiré et acheter ^^) et écrit par le philosophe français Fabrice Midal, il explique en quoi notre vision du mythe de Narcisse est détournée de sa signification originelle et en cherche les raisons.

    Je vous propose de lire le quatrième de couverture :

    “Tout ce que l’on dit sur Narcisse est faux.

    Narcisse n’est pas égoïste. Il n’est pas amoureux de lui-même.

    Tout au contraire, Narcisse, dans toute l’histoire de l’Occident, d’Ovide à Freud, éclaire le sens le plus profond de notre humanité.

    Il est le mythe de la vie, de la joie, de l’innocence…
    Comment et pourquoi l’avons-nous perverti, détruit, souillé ?

    Une stupéfiante enquête qui, de Sophocle à Barthes, de Caravage à Poussin, de Mallarmé à Rilke, met au jour ce que le mythe signifie.

    Dans cet essai engagé, Fabrice Midal montre aussi qu’à l’heure de la défiguration de monde, d’une négation de notre humanité, d’une instrumentalisation fanatique de tout, Narcisse est le mythe qui peut nous ouvrir un chemin de libération….

    Oui, Narcisse est le mythe dont notre XXIe siècle a tant besoin.”

    Moi qui ai toujours eu cette peur ou impression d’être trop égoïste, d’être quelqu’un qui ne pense qu’à soi…(alors que c’était en fait l’inverse et que j’ai dû apprendre à penser à moi…), ce livre a suscité une réflexion chez moi qui m’a apporté beaucoup.

    Ne pouvant citer des pages entières du livre, je vous partage aussi deux extraits assez parlants :

    [1] “Narcisse croit voir quelqu’un là où il n’y a personne […]. Une fois que Narcisse comprend qu’il s’est trompé, il veut aussitôt être autre que lui. Se séparer de lui. Il n’est donc pas du tout dans cette auto-complaisance à laquelle nous identifions le narcissisme.

    Ne pas avoir rencontré un autre être, ne voir au fond que soi-même, est pour Narcisse une déception insoutenable.

    Comme le dit très justement Françoise Frontisi-Ducroux : “À suivre le poème à la lettre, Narcisse ne s’aime pas, puisque la reconnaissance de son erreur et la conscience de s’être pris pour un autre le réduit au désespoir. Il meurt “malheureux de n’être pas différent de lui-même”

    Sur ce point, tous les auteurs s’accordent. Le philosophe Pierre Hadot précise pour sa part : “Toute la tradition est unanime : Narcisse, se voyant dans la source, croit voir un autre et tombe amoureux de cet autre sans savoir que c’est son propre reflet dans l’eau.””

    [2] “Chaque jour, nous avons à advenir à nous-mêmes. À mourir à ce que nous ne sommes plus. Nous en faisons surtout l’expérience dans les moments décisifs de notre vie, un deuil, une rupture, un changement important. Nous sentons bien alors que nous avons quelque chose à faire pour accompagner au mieux le mouvement que nous avons à vivre.

    Être narcissique, c’est permettre à la fleur du printemps, la fleur de la vie nouvelle, d’éclore à nouveau. Et c’est là un travail sans cesse à reprendre pour chacun de nous.

    C’est cela qu’Ovide a pour une part oublié et pour une part transmis. Narcisse ne meurt pas près de la source. Il s’est rencontré et il est devenu adulte. La métamorphose en fleur témoigne de cette transformation intérieure que nous avons tous à faire.

    Qu’est-ce qu’être narcissique ? Savoir laisser la vie éclore en nous. Accepter pour cela de renaître, de se métamorphoser…”

    de Fabrice Midal, « Narcisse n’est pas égoïste », Flammarion, 2019

    Voilà donc un livre que je vous conseille grandement et qui, peut-être, aura effet sur vous comme il l’a eu sur moi ^^

    isbale a répondu il y a 4 années, 2 mois 3 Membres · 3 Réponses
  • 3 Réponses
  • max

    Modérateur
    18 février 2020 à 10 h 22 min

    Merci @isbale, je vais essayer de trouver ce livre, c’est une interprétation passionnante qui nous oblige à réfléchir en profondeur à la signification du reflet.

    Le reflet de narcisse n’est pas narcisse, et c’est donc quand il s’en rend compte qu’il est désespéré… Du coup il est amoureux d’une image de lui qu’il ne parvient pas à atteindre, est-ce que cela signifie qu’il meurt de désespoir à l’idée de ne pas parvenir à devenir l’être idéal qu’il voit ?

  • bagayaga

    Membre
    18 février 2020 à 12 h 26 min

    @isbale

    C’est marrant la vie^^

    C’est exactement ce qui vient de m’arriver à 31 ans.

    Cet automne et par le concours d’une discussion avec une amie très chère, j’ai réussi à faire la paix avec mon fort intérieur.

    Des années à me détester mais je crois surtout à me décevoir.

    Des années à essayer d’être quelqu’un d’autre pour faire plaisir et surtout essayer de ne plus angoisser les autres.

    Et effectivement en bout de ligne la perte totale pour le goût de la vie.

    Depuis cet automne j’ai réussi à comprendre que je me fourvoyais depuis toutes ces années.

    Et que la seule et unique personnes à qui je devais plaire c’était bien moi.

    Depuis ce jour, j’apprécie ce que je suis. Je me porte amour et bienveillance.

    Et même si la vie est difficile, au moins je sais que je ne me ferai plus de mal.

    Au delà du bénéfice d’être enfin mon alliée privilégiée, cela me permet de vivre chaques événements de la vie sous un autre oeil.

    Et je ne laisse plus entrer dans ma vie des gens néfastes.

    Le meilleur bouclier pour traverser cette vie est donc bien je suis d’accord avec le sujet de ton livre le narcissisme. L’amour propre.

    Et comme j’aime à dire. Il faut que le coeur batte de l’intérieur vers l’extérieur.

    Et non l’inverse.

    J’aimerais bien le lire, j’aimerais bien l’avoir lu plus tôt^^

    Ou je pense le conseiller aux personnes qui peinent à se réconcilier avec elles mêmes^^

    Merci beaucoup pour la référence.

    Et sujet très pertinent ici.

    Où beaucoup je pense ont leur Narcisse en berne.

  • isbale

    Membre
    18 février 2020 à 19 h 48 min

    @etienne31

    Je pense que tu tombes en plein dans l’erreur à ne pas faire pour engager cette discussion. Comme tu l’as sûrement lu, on trouve l’histoire la plus détaillée dans le mythe rapporté par Ovide. Une autre version est celle de Pausanias, très intéressante aussi mais qui ouvre encore une autre discussion.

    Il est donc essentiel de se référer au texte “originel”.

    Je pourrais te le citer en entier ici, mais cela prendrait beaucoup de temps et pour finalement ne répéter que ce que met en lumière le livre.

    Ce qu’il faut comprendre dans le mythe de Narcisse selon Ovide est que dès lors que Narcisse comprend que le reflet n’est que lui-même, il désespère de ne pas pouvoir être autre que lui. Il n’est pas du tout dans une forme d’auto-complaisance et ne s’enorgueillit pas de se reconnaître. On est loin de l’égocentrisme auquel fait écho le sens du mot narcissisme aujourd’hui. On peut souligner deux passages intéressants :

    “(Ovide s’adressant pour la première fois directement à Narcisse) Crédule enfant, pourquoi t’obstines-tu vainement à saisir une image fugitive ? Ce que tu recherches n’existe pas. L’objet que tu aimes, tourne-toi et il s’évanouira. Le fantôme que tu aperçois n’est que le reflet de ton image ; sans consistance qui soit sienne, il est venu et demeure avec toi, avec toi il va s’éloigner, si tu peux t’éloigner.”

    “(Narcisse découvrant son erreur) J’ai compris, et mon image ne me trompe plus. Je brûle d’amour pour moi-même, j’allume la flamme et je la subis. Que faire ? Attendre d’être imploré ou implorer moi-même ? Et puis, quelle faveur implorer maintenant ? Ce que je désire est en moi, la possession me dépossède. Oh ! que ne puis-je me séparer de mon corps !”

    Narcisse ne sait pas s’aimer et c’est toute la tragédie de ce mythe. Il comprend que son désire est en lui mais souhaite s’en séparer pour pouvoir l’atteindre. Ce n’est pas la solution !

    @max “Le reflet de narcisse n’est pas narcisse, et c’est donc quand il s’en rend compte qu’il est désespéré… Du coup il est amoureux d’une image de lui qu’il ne parvient pas à atteindre, est-ce que cela signifie qu’il meurt de désespoir à l’idée de ne pas parvenir à devenir l’être idéal qu’il voit ?”

    Narcisse comprend que cet être est en lui. Le reflet de Narcisse est Narcisse, mais celui-ci cherche à aimer quelqu’un d’autre que lui, il ne supporte pas l’idée que ça ne soit que lui-même. Il est tellement à l’opposé complet de l’égocentrisme, qu’il souhaiterait se séparer de la part de lui-même dont il tombe amoureux… pour pouvoir l’aimer ! Or, s’il s’en sépare, cette part ne lui appartient plus et n’est donc plus lui.

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